L'Assemblée nationale constituante (ANC) est passée sous la loupe de la Cour des Comptes. Dans sa 30ème édition, le rapport annuel a recensé les différents dépassements de la défunte Assemblée durant ses trois années d'exercice. Focus sur une série de manquements ayant ponctué les travaux de l'autorité qui a, pourtant, posé les jalons de la 2ème République. Les travaux de contrôle menés par la Cour des Comptes, ont porté sur les principaux modes de gestion de l'Assemblée, durant sa mission, et se sont même étendus à la période d'exercice de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), jusqu'à la fin du mois de mars 2016.
Ainsi, les problèmes organisationnels figurent parmi les points relevés. La Cour des comptes estime, dans ce cadre, qu'il est nécessaire de consolider l'organisation administrative, la gestion des ressources humaines ainsi que le système d'information. A ce propos, on constate des défaillances sur le plan administratif, allant de l'absence des notes régissant certains services à l'instar du cabinet ou encore le secrétariat général, à l'absence de structures nécessaires au bon fonctionnement de l'Assemblée, à l'instar des affaires juridiques ou le service contentieux. Il en ressort, également, l'incompatibilité de la structure organisationnelle avec la réalité. En effet, plusieurs services au sein du secrétariat général n'ont pas été activés, chose qui s'est répercutée, négativement, sur son suivi des activités parlementaires. Des erreurs relatives à l'organisation des services ont été enregistrées, outre l'éparpillement des archives administratives.
La gestion des agents n'est pas exempte non plus de reproches. Elle est sujette à plusieurs dépassements, comme c'est le cas de sept chefs de services dont la décision de nomination n'a pas été renouvelée, faisant de sorte qu'ils ont pu bénéficier de primes de fonction illégales atteignant les 4037 dinars. Une directrice générale a, pour sa part, bénéficié de 360 litres de carburants mensuellement, au lieu de 200 litres, bien qu'elle ne détienne pas de voiture de fonction. Cette situation a fait que la fonctionnaire en question, a bénéficié de privilèges injustifiés d'un montant de 7482 dinars. Outre les agents qui ont bénéficié des allocations pour des heures supplémentaires d'une valeur de 122.865 dinars durant les années allant de 2012 à 2014, sans se baser sur des critères objectifs.
La gestion des affaires des députés a eu sa part, dans le lot des défaillances et des dépassements, et ce au niveau des primes de logements et des salaires, dont le total brut des augmentations a atteint 5,174 millions de dinars durant la période du 15 novembre 2011 au 31 octobre 2012. D'autre part, le suivi de la présence des députés n'a été effectué qu'à partir de janvier 2013, date de la mise en place du système de vote électronique. Il en ressort, alors, que le taux de présence durant cette année n'a pas dépassé les 63%. Et même si la loi stipule que l'absence injustifiée dépassant les 3 séances dans le même mois, devrait amener le bureau de l'Assemblée à supprimer la prime, 8 députés ont pourtant bénéficié d'une prime de 316. 050 dinars, sans assister à aucune séance plénière.
Le rapport de la Cour des comptes poursuit ses remarques, en se penchant sur le système d'informations qui souffre de plusieurs lacunes ainsi que la mauvaise gestion des archives, pour s'arrêter, par la suite, sur les activités de l'Assemblée qui, elles aussi, ne dérogent pas à la règle des défaillances. Ceci dit, l'Assemblée n'a rédigé aucune loi relative aux conseils de la magistrature et à la mise en place des bases de réforme du système judiciaire selon les normes internationales de l'indépendance de la magistrature, outre les projets de loi qui ont traîné jusqu'au mois de mars 2016, et qui n'ont pas été présentés à la séance plénière pour adoption. On repère, dans ce contexte, un délai d'attente qui dépasse, dans certains cas, les 3 ans.
Pour ce qui est de la publication des travaux de l'Assemblée au journal officiel et au site électronique, elle nécessite une meilleure gestion pour répondre au droit d'accès à l'information. Sauf que, seulement, 89% des PV des séances plénières n'ont pas été publiés et que la dernière publication en la matière remonte au 2 mai 2012. Ce retard est justifié par le manque de coordination entre les services des affaires des séances plénières, les services de suivi du processus législatif et de la relation avec le pouvoir exécutif et les services de publication au Journal officiel ainsi que les services techniques des salles de commissions et des séances plénières.
Et les choses ne s'arrêtent pas là, puisque le rapport cite, également, des manquements au niveau de la gestion financière et de la gestion des biens. Ainsi, l'examen de près a permis d'observer une absence de procédures claires dans la gestion des stocks, des espaces et des équipements ainsi que du parc automobile et du service des achats. On enregistre, également, qu'aucun inventaire n'a été effectué lors de la passation entre l'ANC et l'ARP, et le stock n'a pas été correctement préservé, outre la détérioration de plusieurs livres et cadeaux. La Cour relève, par ailleurs, d'autres problèmes d'ordre logistique, à l'instar du taux d'humidité de la bibliothèque et l'absence de caméras de surveillance et d'alarmes incendie, ainsi que la mauvaise gestion du parc automobile qui souffre de lacunes, tant au niveau de la maintenance qu'à celui des procédures administratives d'attribution.
En ce qui concerne le volet de la gestion des achats, la Cour des Comptes estime qu'il faut une meilleure gouvernance et plus d'équité face à l'offre publique appelant, dans ce contexte, à davantage de précision pour la détermination des besoins afin d'éviter plusieurs dépenses inutiles.
Bien que toutes ces remarques et recommandations aient été transférées aux parties concernées, en leur accordant un droit de réponse, aucun retour n'a été enregistré par la Cour des comptes à propos du rapport de synthèse. S'agit-il d'une absence d'arguments ou d'un désintérêt voulu ? Il n'en demeure pas moins que cette négligence témoigne d'une attitude indigne d'un pouvoir public qui s'est chargé de la lourde mission de l'élaboration de la Constitution de la République tunisienne.
En tout état de cause, cette mission, réalisée par la Cour des Comptes, a permis de mettre au grand jour les déboires de l'ANC. Il s'avère, donc, primordial de mettre en place un mécanisme de contrôle d'un pouvoir, supposé être, lui-même, le garant de cette mission, d'autant plus que le chemin vers l'instauration des bases de la démocratie est encore long et que plusieurs défis restent à relever.