La loi contre les violences faites aux femmes est passée à l'unanimité au Parlement. Réalisation historique qui inscrit la Tunisie, encore une fois, dans le rang des pays avant-gardistes en ce qui concerne la cause féminine. Derrière cette loi tant attendue, des générations de militantes ont tout donné pour voir ce jour arriver. Dans une société foncièrement patriarcale et misogyne, réactionnaire et réfractaire à tout changement de l'ordre établi, dans un contexte politique difficile, elles ont tenu bon et lutté pour faire primer les principes égalitaires. Décriées, dénigrées, persécutées par un régime politique despotique, elles ont su porter sans relâche ces valeurs, conscientes qu'elles sont que, sans ce combat, point d'avenir meilleur pour les petites Tunisiennes.
En dépit de certaines lacunes qui ont pu se glisser dans ce texte de loi, majorité conservatrice et consensus oblige, il s'agit d'une belle et émouvante victoire couronnant des décennies de lutte acharnée, de résistance face à un système qui a mis un point d'honneur à persécuter les véritables militants féministes. Hommage à toutes celles et tous ceux qui y ont cru. A toutes celles et tous ceux qui nous ont quittés en cours de route et n'ont pu voir leur rêve se concrétiser. Au final, les idées progressistes de ces militants ont porté leurs fruits avec l'adoption de cette loi, mais un long chemin reste à parcourir.
Légiférer est le point de départ, un premier pas en vue de changer les choses. Toutefois, le véritable ennemi du changement n'est autre que les mentalités sclérosées, hermétiquement fermées aux idéaux d'égalité des genres. Il faut le dire, même dans les milieux qui se proclament progressistes, le schéma patriarcal prime. Il s'agit maintenant d'œuvrer à faire évoluer les mentalités dans une société où la misogynie est banalisée à l'extrême. Une banalisation, une tolérance des comportements sexistes qui contribuent au plus haut point à la persistance des violences faites aux femmes. Violences physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, qui varient, certes, selon les milieux, mais qui persisteront tant que les mentalités resteront figées. Ce sexisme ambiant n'est pas le seul fait de la gent masculine, la plupart des Tunisiennes ont inconsciemment intégré cette mentalité misogyne, la reproduisant et la cautionnant dans leur rapport à la société.
Aspect symptomatique de cette mentalité qui a la dent dure, les réactions de nos concitoyens après l'annonce de l'adoption de la loi contre les violences faites aux femmes. Certains articles ont indigné les internautes qui y voient une menace du socle social traditionnel de la Tunisie. Ils pensent qu'à travers ce texte, on donne trop de pouvoirs aux femmes en dénaturant le rôle qui leur est dévolu et l'attitude qu'elles devraient avoir. « Les femmes vont se mettre à désobéir à leurs maris ! », l'horreur ! « Une petite correction, une réprimande par ci, par-là, n'est pas bien grave, au contraire. C'est dans la nature, ça a été toujours comme ça. Si on commence à changer les choses aussi radicalement, la société ne s'en relèvera pas. Et puis, pas besoin de pareilles lois influencées qui adoptent les valeurs occidentales, la religion a fait asseoir depuis longtemps les principes qui protègent la femme et la font respecter et puis basta ! ». Sempiternelle banalisation de la violence sous couvert des traditions et des préceptes religieux. Quand certains internautes ont dénoncé les peines prévues à l'encontre des harceleurs, c'est pour accuser les Tunisiennes d'être trop libérées, à sortir le soir, à porter des robes, à se baigner en bikini. Comportement répréhensible qui justifie à lui seul qu'elles soient harcelées, voire même violées. Elles l'ont bien cherché après tout ! C'est ce qui se répète et ce ne sont pas des cas isolés, mais une grande proportion du peuple qui pense ainsi, toujours, à des degrés près et avec plus ou moins d'hypocrisie. La femme ne doit pas sortir du moule préétabli, sous peine de voir toute la société plongée dans la dépravation… Enfer et damnation !
Faire évoluer les mentalités, c'est agir avant toute chose au niveau des établissements éducatifs. Les écoles, les collèges, les lycées et les universités devraient jouer leur rôle pour lutter contre les inégalités et déconstruire les stéréotypes, pour que, génération après génération, un changement profond et durable imprègne notre société.