Youssef Chahed est en train de passer la plus difficile épreuve de sa courte carrière politique, car elle va sans aucun doute déterminer son avenir politique : passer du statut de Chef de gouvernement à celui de président de la République. Un an après son intronisation, il devra réussir un double exercice : afficher un bilan sans complaisance et imposer aux signataires du document de Carthage ses choix pour sortir le pays de la grave crise économique vers laquelle il s'achemine inexorablement. En matière de bilan, il n'y a pas lieu de pavoiser. Bien au contraire. Mais la faute incombe-t-elle à Youssef Chahed alors qu'il était tenu d'appliquer la feuille de route du document de Carthage ? Un document qui, il faut franchement le reconnaître, a plongé davantage le pays dans une crise financière qui rappelle celle du début des années 1980, en pire. Il n'est plus nécessaire ici de faire étalage d'indicateurs et de données statistiques pour constater l'acuité de la situation économique et surtout financière du pays. Il suffit seulement de constater la vertigineuse dégradation de la notation accordée à la Tunisie par les principales agences internationales de rating pour en saisir l'ampleur. Le pays est passé du grade « Investment » à celui « fortement spéculatif ». On imposait la confiance, on distille aujourd'hui la méfiance. Voila où a mené le document de Carthage et toutes les politiques économiques qui ont été menées précédemment.
N'en déplaise à la Troïka, au gouvernement Jomaâ et au gouvernement Essid. « Ni le niveau de la croissance économique enregistré jusqu'ici, ni sa structure, dominée par la consommation -trop gourmande en importation- et d'un secteur public budgétivore, lesté d'effectifs pléthoriques, ne permettent d'atteindre, dans un horizon raisonnable, les objectifs de la révolution en termes d'emploi et d'amélioration des conditions de vie de l'ensemble de la population. », indiquait, à juste titre, Chedly Ayari en introduction au Rapport annuel 2016 de la Banque centrale de Tunisie (BCT), tout en s'exonérant, à tort, par la suite, lorsqu'il précise que « ces contre-performances touchant la sphère réelle, n'ont pas tardé à se transmettre à la sphère monétaire, contribuant, de concert, à entretenir une spirale néfaste - qui persiste en 2017 - avec à la clé une résurgence des tensions inflationnistes, une dépréciation manifeste du dinar et un accroissement du poids de l'endettement extérieur, qui, à leur tour, pèsent de plus en plus sur les réserves en devises et la liquidité bancaire ». Dans de telles conditions, il convient de savoir gré au gouvernement Chahed d'avoir pu limiter les dégâts avec une prévision de croissance pour 2017 qui dépassera les 2%, du jamais vu depuis 2011 ! S'agissant des finances publiques, Youssef Chahed pouvait-il faire autrement alors qu'il était enchaîné par le fameux document de Carthage et les engagements de ses prédécesseurs? Pouvait-il faire autrement face à un pouvoir législatif plus préoccupé par les considérations électoralistes et clientélistes que par les impératifs de redressement économique du pays? De multiples projets de loi de réforme économique essentielle, sont toujours en attente d'adoption par l'Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Le seul dossier dont Youssef Chahed n'était nullement enchaîné par les signataires du document de Carthage est celui de la lutte contre la corruption. Il s'y est engouffré résolument soutenu par une opinion publique totalement conquise. Quant au choix, Youssef Chahed devra imposer les siens. D'abord, des hommes et des femmes qui composeront son équipe gouvernementale. A ce niveau, les concessions sont interdites. Puis des priorités économiques et sociales, sans considérations de calendrier que celui qu'il s'est imposait, au-delà de l'horizon 2020. A ce niveau, pas de compromis à fortiori de compromission ne sont envisageables.
Youssef Chahed sera-t-il capable de tout cela ? Youssef Chahed est réellement face à son destin.