C'est la débandade à l'Assemblée des représentants du peuple. Une plénière censée traiter du projet de loi de réconciliation économique a tourné au vinaigre. Nos députés, qui s'opposent à cette loi, se sont livrés à des séances de chahutage interminables frôlant le ridicule. Des élus du peuple qui se donnent en spectacle, qui refusent le débat, qui usent et abusent de populisme, des suspensions incessantes de la plénière, telle était l'atmosphère sous l'hémicycle du Bardo qui tourne au véritable cirque. Les députés de l'opposition ne sont pas contents et ils le font savoir. C'est leur droit le plus élémentaire de contester un projet de loi, personne ne reviendra dessus. Sauf que la manière avec laquelle ils veulent imposer leur point de vue, est le moins qu'on puisse dire inélégante. L'ambiance de cirque des débats, ne fait qu'entraver les travaux d'une Assemblée prise en otage et déjà en retard sur plusieurs dossiers, notamment le pourvoi des vacances à l'Instance supérieure indépendante pour les élections. Lors de la plénière de mardi, l'absence de quorum, les députés semblant se désintéresser de la question, a fait que l'examen des candidatures à l'ISIE soit reportée. Mercredi la plénière qui devait être consacrée au projet de réconciliation s'est ouverte dans un climat de vives tensions, celles-ci allant crescendo jusqu'aux échanges d'accusations et d'insultes. Un spectacle, pas beau à voir. Mais l'opposition n'en a cure parce qu'elle veut coûter que coûte faire barrage au projet de loi et imposer son dictat à la majorité qui le cautionne.
Proposé par la présidence de la République, le texte législatif a fait face à de sérieuses entraves. Depuis 2015, et le tollé qu'il a soulevé chez l'opposition et une frange de la société civile, le projet de loi a été bloqué, mis au placard, puis ressorti dans une nouvelle version après amendement de certains articles litigieux, pour enfin être approuvé en juillet 2017 par la commission de législation générale. C'est la présidente de l'IVD Sihem Ben Sedrine et ses soutiens qui ont ouvert les hostilités les premiers. Ben Sedrine avait en 2015 déposé un recours auprès de la Commission de Venise pour avis consultatif sur la constitutionnalité de ce projet. La Commission a finalement tranché en faveur du texte proposé par la présidence approuvant sa compatibilité avec les dispositions de la Constituions, tout en préconisant de réviser certains points. Chose due, chose faite, le projet est retiré, modifié et remis sur la table des discussions. Après le lifting, le projet de loi s'intéresse désormais, uniquement aux dépassements à caractère administratif. Ceci signifie que le texte ne concernera que les fonctionnaires ayant appliqué les directives de leurs supérieurs hiérarchiques et qui ne sont pas impliqués dans des affaires de malversations ou corruption. Point donc de blanchiment de corrompus ou de ceux qui ont commis des délits économiques.
Mais rien n'y fit, ceux qui refusent de pardonner continuent d'accuser la présidence de la République de vouloir blanchir les corrompus et ont trouvé leur porte-voix à l'Assemblée en des partis comme Attayar des Abbou, le Front populaire et les actuels Irada de Moncef Marzouki. Pour contester l'examen du projet de loi le bloc parlementaire démocrate et celui du FP, ont commencé par arguer l'absence de l'avis consultatif du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), à propos de la constitutionnalité du projet de loi. Ils ont signifié que le projet ne pourrait être examiné sans qu'il n'y ait réponse du CSM. Le président du parlement a coupé court à cet argument, en expliquant qu'il n'est en aucun cas nécessaire, de par la loi, d'attendre la réception d'une réponse et qu'il s'agit juste d'un avis consultatif. Cependant, les Samia Abbou et Cie n'allaient pas s'avouer vaincus pour autant. Prenant la parole dans un brouhaha et un chaos innommables, ils n'ont cessé de prendre à partie leurs collègues, les insultant au passage. La tension est montée d'un cran lorsque Mohamed Ennaceur a donné la parole au président de la commission de la législation, les élus réfractaires contestant le passage en force de l'examen du projet de loi malgré les réserves qu'ils ont exprimé. La séance est levée pour 30 minutes le temps de se consulter et de préparer l'offensive. A la reprise de la séance, le président de la commission de la législation s'avance pour présenter son rapport relatif au projet de loi. Tollé dans le rang de l'opposition, ça se lève de son siège, ça gueule, ça tape sur les pupitres pour empêcher la lecture, ça part en vrille. Le président de l'Assemblée ne cède pas, les élus contestataires se mettent à entonner en boucle l'hymne national. La lecture se poursuit en dépit du boucan. Des élus dont Imed Daïmi et Samia Abbou (cette dernière était dans un état proche de l'hystérie), se mettent devant le président de la commission pour qu'il ne soit pas filmé par les caméras de la Télévision nationale, alors que l'hymne continue à être entonné en boucle. Mme Abbou a fait son show et n'y est pas allée de main morte. Dans un état second, elle s'est mise alors à taper de toutes ses forces sur la table du président de la commission tentant de le déstabiliser. Le rapport est quand même présenté et Mohamed Ennaceur lève la séance pour une heure.
Quelle que soit l'issue de cette plénière, le spectacle que donne l'Assemblée des représentants du peuple tourne au ridicule, discrédite l'institution, et prouve qu'on est loin, vraiment très loin, d'un exercice politique responsable. En l'espace d'une journée l'hémicycle du Bardo s'est transformé en une cours d'école, voire en un cirque où tous les écarts sont permis.