Sauf catastrophe, la Tunisie sera retirée de la liste des paradis fiscaux le 23 janvier prochain. La Tunisie a été victime d'une injustice de la part de ses partenaires européens mais elle n'est pas exempte de tout reproche. Retour sur une polémique qui met au jour plusieurs défaillances. La nouvelle est tombée comme la foudre, le 5 décembre 2017, sur le microcosme économique tunisien : La Tunisie est considérée comme un paradis fiscal par les 28 ministres européens des Finances. Une décision grave surtout si l'on sait qu'il faut l'unanimité pour qu'un pays soit inscrit sur cette liste. Branle-bas de combat au niveau gouvernemental : Le ministère des Affaires étrangères émet un communiqué, le ministre des Finances, Ridha Chalghoum, se défend à l'Assemblée, Iyed Dahmani va sur les plateaux dire l'indignation de la Tunisie et Youssef Chahed, chef du gouvernement, exprime son étonnement vis-à-vis de cette mesure. Maintenant, la Tunisie va activer ses réseaux et une délégation partira à Bruxelles défendre le dossier tunisien pour un dénouement espéré le 23 janvier 2018.
Voilà pour le contexte général. Mais deux questions ont rapidement émergé : Pourquoi l'Europe prend cette mesure contre la Tunisie, elle qui prétend se tenir à ses côtés et être l'un de ses principaux partenaires ? Et puis surtout, comment, nous Tunisiens, en sommes-nous arrivés là ? Il est vrai que l'Europe trébuche dans le traitement du dossier des paradis fiscaux. Les opinions publiques européennes ont été ulcérées par les scandales à répétition concernant l'évasion fiscale et les paradis fiscaux (luxleaks, Panama Papers et dernièrement Paradise Papers). Les ministres des Finances européens ont été placés dans une certaine urgence pour traiter ces dossiers et donc, il y a eu des dérapages, dont le cas de la Tunisie.
L'attitude de l'ambassadeur de l'Union européenne en Tunisie, Patrice Bergamini, montre le réel intérêt pour la Tunisie de la part de l'Union européenne. Il a eu un entretien ce matin du 7 décembre avec le chef du gouvernement, Youssef Chahed, et a enchainé avec une réunion des ambassadeurs des pays européens en Tunisie. Mais où est-ce que ça a cloché ? L'Union européenne s'est cachée derrière une histoire de délais et de retard dans la présentation des éclaircissements tunisiens. Mais en réalité, ce genre de classement ne se fait pas d'une manière rigoureuse. A titre d'exemple, quand le FMI ou les agences de notation s'intéressent à un pays, ils y envoient des missions et des experts pour évaluer la situation, ils ne le font pas dans des bureaux fermés à Bruxelles. Deuxième chose, la liste préliminaire de pays susceptibles d'être qualifiés de paradis fiscaux comprenait, au départ, 90 pays. Par quel raisonnement en est-on arrivés à 17 pays seulement, surtout en sachant que des pays comme le Qatar et le Maroc y étaient quelques jours avant la publication ? Troisième point, comment expliquer qu'il n'y a pas de pays ou de territoires européens dans cette fameuse liste ? Pourquoi on n'y voit pas des pays comme le Luxembourg, le Lichtenstein, Andorre, l'Irlande etc. ? Seule la politique politicienne peut l'expliquer. Pour comprendre l'ampleur de la supercherie, il suffit de faire un comparatif avec la liste de paradis fiscaux établie par l'ONG spécialisée Oxfam.
Cela dit, il ne faut pas non plus fermer les yeux sur les défaillances du côté tunisien. D'abord au niveau structurel. Personne n'est aujourd'hui capable de dire qui s'occupe de manière exclusive, au sein de l'Etat tunisien, des négociations et des tractations au niveau financier international. Le dossier économique revêt une telle importance que l'on a cru bon de multiplier les intervenants en espérant redresser la barre. Entre le ministère des Finances, celui de l'Investissement de la Coopération internationale, en plus des conseillers économiques à la présidence du gouvernement, les mains sont nombreuses mais il n'y a pas de résultat. Il faut ajouter à cela l'instabilité politique et l'attribution des postes en fonction des proximités et des calculs politiques. Certains partenaires extérieurs s'en émeuvent dans les coulisses en disant qu'on ne peut pas avancer avec un nouveau ministre tous les six mois. Pour revenir au dossier des relations avec l'Europe, certains experts n'hésitent pas à dire qu'il a été traité de façon légère et nonchalante par l'exécutif tunisien qui s'est fait « attraper » sur un détail concernant des délais. Un constat qui remet un doute l'utilité même d'un secrétariat d'Etat à la diplomatie économique, car c'est là ou se trouve aussi la défaillance. La diplomatie tunisienne, quel que soient les efforts qui vont être faits aujourd'hui, s'est fait déborder par cette histoire. La Tunisie allait être classée en tant que paradis fiscal sans que nous ne soyons au courant, d'abord, et donc sans pouvoir mettre sur pied les contacts nécessaires pour éviter cela à une économie fragile.
La précipitation des ministres européens des Finances, mêlée à une certaine négligence de la partie tunisienne, ont fait en sorte que la Tunisie se retrouve dans cette liste néfaste de 17 pays. Aujourd'hui, il va falloir aller convaincre à Bruxelles, ce qui devrait être facile tant les arguments de la Tunisie sont rationnels et forts. Toutefois, il s'agit d'un grand signal d'alarme sur la gestion gouvernementale du dossier économique, surtout dans la partie concernant les bilatéraux et les multilatéraux. Quand il y a 10 responsables dans un dossier, rien n'avance, et ce malheureux épisode en est l'illustration parfaite.