Depuis la fermeture des candidatures pour les élections municipales du 6 mai prochain, les analyses vont bon train. Elles sont positives dans leur ensemble et proportionnelles aux inquiétudes qui ont régné au cours des semaines précédentes. Seulement, les nombreux signes positifs enregistrés ne doivent pas cacher l'essentiel : les élections ne sont pas qu'une affaire logistique et arithmétique. Elles ont un but essentiel, celui d'ancrer les principes de la démocratie et de l'alternance. Or certains indices indiquent que si toutes les conditions d'organisation des élections très correctes sont réunies, les résultats qui se profilent déjà de ces élections peuvent ne pas contribuer, loin s'en faut, à un ancrage réel de la démocratie et seront même un jalon supplémentaire dans le paysage politique fortement marqué par la bipolarisation. Comme si on réunissait tous les ingrédients de la démocratie pour mieux s'en éloigner. Comme si on réunissait tous les condiments pour préparer une bonne omelette mais qu'au dernier moment, on choisit par intérêt ou par maladresse, de casser les œufs par terre.
Parmi les grandes satisfactions de cette phase des candidatures, il ya le bon comportement de l'ISIE qui semble avoir dépassé ses problèmes internes et retrouver une efficacité et une sérénité qu'on croyait altérées. On espère, pour l'intérêt du pays, que cela soit définitif. Il y a aussi l'exploit des deux formations politiques dominantes, le Nidaa et Ennahdha qui ont réussi, avec aisance remarquable, de présenter des listes dans toutes les circonscriptions municipales. Sur ce plan, la palme revient à la direction actuelle du parti du président et à son fils qui ont déjoué les pronostics et montré une capacité de gestion insoupçonnée jusqu'à quelques jours. Le Front populaire ainsi que l'autre vingtaine de partis politiques qui ont présenté leurs listes soit d'une manière partisane ou coalisée, tout autant que les quelques centaines de listes indépendantes auront le mérite de pimenter la prochaine échéance électorale et garantiront que toutes les municipalités connaitront une compétition entre deux listes ou plus. Ceci est suffisamment important pour être relevé car au départ, ce n'était pas une situation acquise d'office, tant les conditions de candidature et les exigences imposées aux listes sont contraignantes.
Mais cette phase des candidatures a permis de déceler quelques autres indices inquiétants, à commencer par ce faible ancrage populaire de la plupart des partis politiques hormis les deux partis dominants. Cette situation est fortement nocive car annonciatrice de l'exacerbation d'une fracture politique et régionale entre le sud et le nord du pays, entre les zones rurales et les concentrations urbaines et entre les fiefs des islamistes et les autres places fortes des destouriens. D'ailleurs, n'est-il pas alarmant et n'y a-t-il pas quelque chose à faire pour que, lors des prochaines échéances électorales, on ne se retrouve pas avec uniquement 25 partis politiques en lice sur un total de 211 partis ? Comment faire pour contraindre ces dizaines de partis uninominaux et les partis du show médiatique à jouer leur rôle essentiel, celui de relever le défi de la compétition avec les autres partis concurrents dans le but d'accéder au pouvoir, ou y participer, à travers le suffrage universel ?
Sur un autre plan, la question de la parité, tout comme celle de la participation des jeunes ne semblent pas entrer dans les mœurs et les pratiques politiques. Bien sûr que les partis politiques ont respecté en apparence les exigences du code électoral. Mais ils l'ont fait sous la contrainte, dans le cadre d'élections qui nécessitent un nombre important de candidats et surtout pour des postes qui ne seront pas, pour la plupart, rémunérés. On suivra attentivement le comportement de ces partis lors des prochaines élections législatives, dont les avantages financiers sont beaucoup plus alléchants, pour mesurer le degré d'engagement de ces partis en faveur des jeunes. On ne manquera pas aussi, maintenant comme à l'avenir de décrier les partis qui gèrent la question de la parité comme une contrainte et non comme une conviction. Certains partis malheureusement ont présenté des listes sous la bannière de l'indépendance rien que pour déjouer la contrainte électorale de la parité. Dans ces conditions et avec des telles attitudes, même si tous les condiments pour réussir des élections libres et plurielles sont réunis, l'apport de ces élections dans la construction démocratique reste incertain.