Le fait est inédit. C'est la première fois que la Banque centrale de Tunisie (BCT) tient une conférence de presse spécialement dédiée à la décision prise par son Conseil d'administration en début de semaine de relever le taux directeur de la banque de 75 points de base à 5,75%. D'habitude, l'institut d'émission se contentait d'un simple communiqué. Cela mérite d'être mentionné car le fait peut préfigurer d'une nouvelle orientation de la BCT dans la conduite de sa politique monétaire et de l'objectif essentiel qui lui est assigné : la stabilité du niveau général des prix, autrement dit la lutte contre l'inflation. Ce jeudi 8 mars 2018, l'institut d'émission a voulu expliquer les tenants d'une telle décision. On pourrait les résumer par ces propos tenus à plusieurs reprises par le nouveau Gouverneur de la BCT, Marouen Abassi, au cours de cette conférence de presse : « il nous faut revenir aux fondamentaux économiques ». Par conséquent, il n'est plus question pour la BCT de poursuivre une politique monétaire accommodante alors que, par ailleurs, on fait très peu pour redresser le cadre macroéconomique du pays.
C'est un véritable avertissement qui est lancé par l'institut d'émission aux établissements financiers et au gouvernement. Aux établissements de crédits, la Banque centrale veut signifier que leur politique de crédit ne peut plus s'adosser à la politique avantageuse de refinancement. Il s'agit dorénavant de revenir aux fondamentaux, à savoir que ce sont les dépôts qui font les crédits et non le contraire comme cela semble être le cas depuis quelques temps. A l'Etat ou plutôt au gouvernement, le message est tout aussi clair. Après l'adoption d'une loi de finances dans laquelle les dispositions fiscales ne vont pas manquer de tendre davantage l'indice des prix à la consommation (hausse de la TVA et élargissement de son assiette, augmentation des droits de douane et des droits de consommation, hausse des prix intérieurs de l'énergie….), il est hors de question que la BCT ne réagisse pas si la tendance vers un creusement du déficit budgétaire, qui dépasserait les 4,9% du PIB prévu par la loi de finances, se confirme. L'autorité monétaire n'hésitera pas à faire payer cher ce gap éventuel. A cet égard, il semble que le message ait été compris. Malheureusement, à contre sens. Car, on ne peut expliquer autrement la curieuse et énigmatique émission en Bons du Trésor à Court terme (BTC) d'un montant de 600 MD sur 90 jours au taux de 6,10% lancée par l'Etat au début de ce mois de mars. Habituellement, la levée d'emprunt par l'émission de BTC ne dépasse pas quelques dizaines de millions de dinars. Pour toute l'année 2017 par exemple, l'Etat n'a émis de BTC que pour un montant de 90 MD au taux moyen de 5,65%. En effet, une surprenante sortie que celle-là qui peut suggérer aussi que l'Etat serait à cours de liquidité, ce qui serait réellement préoccupant.
Cela étant, la BCT n'en aurait cure. Retour aux fondamentaux oblige. Retour à un taux d'intérêt réel positif qui incite à l'épargne - celle-là même qui financera sainement l'investissement – alors que jusqu'à maintenant, ce taux est négatif est encourage plus que de mesure la consommation à tout va et que l'investissement est financé par de la création monétaire adossée à des actifs dont la valeur est de plus en plus incertaine.
En tout cas, en rehaussant son taux directeur, l'autorité monétaire a décidé de jouer clairement son rôle de combattre l'inflation d'origine monétaire. Elle montre incidemment la voie au gouvernement pour qu'il s'attaque à l'inflation d'origine non-monétaire. La seule voie de salut économique pour le pays.