Organisé, discipliné et solidaire, tels sont les adjectifs couramment utilisés pour décrire le parti islamiste Ennahdha. Or, on assiste ces derniers jours à une série de déclarations et de positions s'opposant à la réputation ancrée du mouvement. Serait-ce le début d'une véritable crise ou juste une tempête passagère ? Les scissions et les divisions sont devenues monnaie courante touchant un nombre important des partis politiques, si ce n'est la majorité écrasante. Les raisons sont multiples et variées, divergences des points de vue, guerre des alter-égos ou encore pour des considérations électorales. Peu importe les causes directes ou indirectes, les répercussions sont immédiatement perçues sur le paysage politique.
Cela dit, l'unique parti qui est sorti du lot est celui d'Ennahdha. Le mouvement islamiste a réussi à maintenir son unité et ses rangs ont toujours été serrés. Connu pour sa discipline exemplaire et l'application, aussi bien des dirigeants que celle des bases, Ennahdha a su donner la bonne image d'un parti politique solidaire, imperturbable. Toujours est-il, il n'échappe à personne qu'il existe des divergences et des tiraillements au sein de ce parti. Des conflits internes, concernant la direction, les orientations et la structuration, ont été tus par les grands barons d'Ennahdha. Le linge sale du parti n'a jamais été étalé en public, les différents problèmes débattus sont discutés en interne et dans les chambres closes.
Sauf que cette démarche stricte, n'a pas pu tenir aussi longtemps. Les faucons du parti islamiste ont commencé à se révéler au grand jour à travers des déclarations médiatiques et des statuts massivement partagés sur les réseaux sociaux. Un pas entamé, plus particulièrement, à la suite de la publication du rapport de la Commission des libertés individuelles et des libertés et l'annonce du président de la République concernant la soumission du projet de loi sur l'égalité successorale au parlement. Cette polémique a encouragé, les plus conservateurs, à se prononcer en réaffirmant le référentiel religieux du parti.
Dans ce contexte, l'échange virulent des déclarations médiatiques, entre Mohamed Ben Salem et Lotfi Zitoun est un exemple de l'éclatement de la crise idéologique au sein d'Ennahdha. En effet, Mohamed Ben Salem avait indiqué, le 13 août 2018, que Lotfi Zitoun fait cavalier seul et ne représente pas le courant réformiste au sein du mouvement. « Heureusement que je ne partage pas les mêmes positions que Lotfi Zitoun. Cela ne veut pas dire qu'Ennahdha est divisé, mais qu'il y a une diversité saine et nécessaire à son développement », indique Mohamed Ben Salem. Connu pour ses positions progressistes, en ce qui concerne plusieurs points, notamment, le rapport de la commission des libertés individuelles et de l'égalité, Lotfi Zitoun, a répondu aux critiques dirigées contre lui par Mohamed Ben Salem. « On veut créer une police d'opinion au sein d'Ennahdha!" a écrit-il sur son mur, dans la soirée même. Il a, également, saisi l'occasion pour dénoncer une tentative de « déformer la vérité », tout en affirmant que des dossiers internes encore en cours de débat au sein du parti ont été pourtant rendus publics par certains.
Toujours, suivant le même courant, Seïf Ben Salem, fils du dirigeant nahdhaouis, Moncef Ben Salem a publié un statut incendiaire contre « les dirigeants revenant de l'étranger », dénonçant leur position « étrange à la société ainsi qu'à la religion islamique ». Toutefois, il s'est attaqué à l'un de ces dirigeants sans citer le nom, l'accusant de corruption matérielle et de suspicions morales et éthiques. « Certains de ces dirigeants sont revenus en Tunisie avec une politique étrange et une fortune douteuse, dont l'origine est suspecte. Il est temps d'ouvrir ce dossier et de mener une enquête », a-t-il indiqué rappelant que l'un des proches de ce dirigeant est impliqué dans une affaire de mœurs et dont les victimes se comptent par dizaines. Seïf Ben Salem a, également accusé « ce dirigeant » de complicité avec ce proche « malade » en cachant ses crimes.
Ce statut, massivement partagé sur les réseaux sociaux, a créé une véritable polémique dans les rangs d'Ennahdha, d'autant plus que plusieurs personnes ont déduit que le chef du bloc parlementaire d'Ennahdha, Noureddine Bhiri était « le fameux dirigeant » visé par Seïf Ben Salem. Les pressions étaient, donc, si fortes que le jeune procède à la suppression de ce statut affirmant qu'il a eu des promesses pour l'ouverture d'une enquête à ce sujet. Il a, également, assuré qu'il révélera toute la vérité autour de ce dossier.
Abdellatif Mekki, a, également, suivi le courant des scandales, lors de son intervention sur le plateau de Midi Show où il a dénoncé les mécanismes de gestion du mouvement, ainsi que le système de prise des décisions. M. Mekki a mis en garde contre l'instauration d'une dictature au sein du parti, estimant que la situation est dangereuse, et qu'il est temps de changer les mécanismes en place afin d'éviter la déviation. Une situation qu'il a décrite en établissant un parallèle entre Rached Ghannouchi et Habib Bourguiba, rappelant que ce qui a fait tomber Bourguiba était sa mainmise sur le PSD.
En tout état de cause, Ennahdha demeure l'unique parti organisé, maîtrisant la scène actuelle. Tous les indices et les facteurs conjoncturels indiquent qu'il est le parti le mieux préparé pour les élections de 2019. D'ailleurs, ses résultats réalisés lors des dernières municipales témoignent du grand travail effectué. Cependant, les plus conservateurs semblent perturbés dès le moment où l'on commence à toucher à leurs sacrés, le référentiel religieux, bien que dissimulé refait, toujours, surface. Les grands barons réussiraient-ils à absorber la colère et la vague de rébellion en perspective?