Rien ne va plus au ministère de l'Energie, des Mines et des Energies renouvelables. Le chef du gouvernement vient de décider une série de limogeages qui a touché les plus hauts cadres du ministère et, à leur tête, le ministre Khaled Kaddour et son secrétaire d'Etat aux Mines Hachem Hmidi. La cause de cet important remue-ménage se cache derrière un lourd dossier qui a révélé un important dysfonctionnement du ministère. La Tunisie s'est réveillée ce 31 août 2018 sur une nouvelle qui n'est pas anodine : le chef du gouvernement Youssef Chahed a décidé de limoger le ministre de l'Energie et des Mines, le secrétaire d'Etat aux Mines, le directeur général des hydrocarbures, le directeur général de l'Entreprise tunisienne d'activités pétrolières (Etap) ainsi que le directeur général des affaires juridiques au ministère. Le ministère de l'Energie sera dorénavant affilié au ministère de l'Industrie et des PME. «Il n'y a pas de ligne rouge et personne n'a d'immunité dans la guerre contre la corruption. Nous voulons un Etat de droit et un Etat transparent», avait affirmé le chef du gouvernement à la presse le même jour. Il précise : «Nous avons ouvert une enquête et les responsables seront traduits devant la justice. On ne veut ni opprimer, ni accuser personne, mais ce sont des dossiers importants et graves. La guerre contre la corruption se poursuit !». M. Chahed a également ordonné la constitution une commission d'experts au sein de la présidence du gouvernement pour restructurer le ministère et réviser la gouvernance du secteur de l'énergie en Tunisie. Il a aussi chargé l'Instance de contrôle général des services publics (ICGSP) et la CGF (contrôle général des finances) d'ouvrir une enquête approfondie concernant ce ministère.
Quant aux raisons de ce limogeage, le porte-parole du gouvernement, Iyed Dahmani, a indiqué, dans une conférence de presse tenue le même jour, qu'il s'agit d'une affaire de mauvaise gouvernance et non pas de corruption. Bien que le ministre ne soit pas impliqué directement dans ce dossier, le dysfonctionnement serait tellement important que c'est l'ensemble du ministère qui devrait être restructuré ! En clair, l'affaire n'est pas récente : elle date de 2009. Mais, elle vient juste d'être révélée par le concerné en personne, un investisseur tunisien qui a voulu inviter le chef du gouvernement à une cérémonie organisée à l'occasion de l'entrée en production du champ pétrolier qu'il exploite depuis 2006. Or, il s'est avéré que le permis d'exploitation avait expiré depuis 2009 et qu'il n'a pas été renouvelé, le tout alors que l'exploitant continuait à bénéficier d'avantage fiscaux, cités dans le Code des Hydrocarbure, explique Iyed Dhamani. Alors que le code spécifie bien que toute exploitation pétrolière doit se faire dans le cadre d'un partenariat avec l'Etat tunisien, représenté par l'Etap, il s'avère que la société qui va entrer en production dans quelques semaines ne l'est pas ! Nous sources affirment qu'il aurait obtenu des autorisations (sans que l'on sache comment) en 2011 et sans qu'il ne soit associé à l'Etap.
Autre révélation fracassante, la concession en question, Halk el Menzel, qui se situe au large de Monastir, dispose d'une réserve estimée à 8,1 millions de barils, représentant plus de la moitié de la production tunisienne actuelle qui est de 15 millions de barils par an. La capacité de production potentielle a été estimée à 15.000 barils par jour alors que notre production actuelle est de 39.000 barils par jour, soit une hausse d'environ 30% de notre production journalière. En effectuant des recherches sur ce puits, la présidence du gouvernement a découvert le pot aux roses : la concession était en situation irrégulière. Le permis avait été accordé en 1979 pour une période d'exploitation de 50 ans. A la publication du Code des hydrocarbures en 1999, le législateur avait laissé aux exploitants le choix de continuer avec l'ancien accord conclu avec l'Etat tunisien ou de poursuivre sous la houlette du nouveau code et de bénéficier des avantages s'y afférant. L'exploitant de l'époque avait choisi, justement, cette dernière option, ce qui a fait que la date d'exploitation du permis a exprimé en 2009, le code fixant la période d'exploitation à 30 ans. Ainsi, et pendant près de 10 ans, l'exploitant a continué à détenir la concession, qu'il l'a acquise en 2006, et a bénéficié d'avantage fiscaux, sans être inquiété. Une enquête a ainsi était ouverte pour déterminer les responsabilités et traduire en justice toute personne impliquée qui sera révélée par l'enquête. La période d'exploitation ayant été finie, son exploitation revient ainsi à l'Etat tunisien, a spécifié Iyed Dahmani, sans répondre à la question d'une journaliste demandant si l'Etat allait récupérer la concession. Aucune précision n'a été donnée sur le devenir de l'investisseur et s'il devra rembourser les avantages dont il a bénéficié tout au long de ces années. Autre information importante, le porte-parole du gouvernement a affirmé que le limogeage n'avait rien à voir avec l'histoire évoquée par le sectaire d'Etat sur un autre dossier, mais uniquement avec le dysfonctionnement constaté.
Il n'est pas normal qu'un gouvernement qui s'est donné comme première mission de lutter contre la corruption de taire une telle affaire, a souligné Iyed Dahmani, en martelant qu'il s'agit d'une grave affaire de mauvaise gestion de ressources appartenant au peuple tunisien et que de ce fait, il fallait réagir en restructurant ce ministère défaillant d'où la création de la commission d'experts afin de réviser la gouvernance du secteur de l'énergie en Tunisie. Et de soutenir «que plus de transparence ne peut être qu'une protection pour les investisseurs tunisiens et étrangers». Une position partagée par le chef du gouvernement : «Je veux rassurer les investisseurs sérieux que les mesures que nous allons prendre vont vers la transparence et encore plus de transparence dans le secteur. Booster les investissements dans ce secteur ne signifie en aucun cas la spoliation des richesses du peuple tunisien et son exploitation d'une manière non transparente.»
Cette affaire révèle une chose importante : il est nécessaire d'accélérer la mise en place des réformes structurelles nécessaires et de revoir la gouvernance au niveau des ministères. Sans ces chantiers, tout ce qu'entreprendra le pays sera incomplet ou voué à l'échec. «Je n'ai peur que de Dieu et du peuple tunisien dont j'ai la responsabilité de protéger les richesses. Celui qui a une conscience tranquille n'a rien à craindre», a affirmé Youssef Chahed.