Il est malheureux d'en arriver à se poser une telle question. Les dirigeants actuels de l'UGTT devraient s'inquiéter de l'impact nul, et dans certains cas négatif, que va avoir la grève générale de la fonction publique qui aura lieu demain 22 novembre 2018. Il suffit de questionner les gens dans la rue, dans les cafés ou dans les magasins pour se rendre compte que l'opinion publique n'adhère pas du tout à cette grève, certains allant jusqu'à dire que cela ne changera rien vu que les fonctionnaires ne travaillent pas de toutes manières. Toutefois, 650 mille fonctionnaires qui font grève le même jour est un évènement assez important pour que l'on s'y arrête. Que demande l'UGTT ? La centrale syndicale exige que les salaires dans la fonction publique soient augmentés de façon immédiate. La raison invoquée est que le pouvoir d'achat du fonctionnaire en Tunisie est en train de baisser à vitesse grand V et qu'il faut mettre un terme à cette chute. Autant la logique de cette revendication est limpide, autant elle recèle en elle une certaine naïveté. Economiquement, il est établi depuis des décennies que les augmentations de salaires qui ne s'accompagnent pas d'une croissance proportionnelle ne font que créer de l'inflation. Autrement dit, dans la conjoncture actuelle où la croissance reste insuffisante, augmenter un salaire de 100 dinars par exemple engendrera automatiquement une augmentation des prix à la consommation au moins équivalente. Par conséquent, le pouvoir d'achat du fonctionnaire restera le même dans le meilleur des cas puisque l'augmentation de salaire sera bouffée par l'inflation créée. Le seul indice qui augmentera dans cette configuration est celui de l'inflation. L'Etat va y perdre des ressources précieuses et le fonctionnaire ne verra pas son pouvoir d'achat amélioré.
De l'autre côté, il y a l'aspect politique des choses. Les slogans selon lesquels la grève décrétée par l'UGTT représente déjà une espèce de boussole, de ligne de démarcation politique, entre les pros et les antis font florès sur les réseaux sociaux. Et évidemment ceux qui n'adhérent pas à cette grève sont des traitres à la cause nationale, des ennemis de la souveraineté du pays et sont les esclaves de la volonté des puissances étrangères. Pour l'UGTT et ses soutiens, l'argument selon lequel la masse salariale de la fonction publique représente un poids lourd à porter par les finances publiques ne tient pas la route. Ils s'obstinent à dire qu'il s'agit de consignes du FMI et des puissances étrangères et que l'augmentation de salaire est un droit. Ce discours ne contient pas un mot sur la productivité, sur la nécessité de créer de la richesse même au niveau de l'administration, sa numérisation, le nombre d'heures de travail perdues ou les congés maladie indus. Par ailleurs, l'UGTT est en guerre ouverte avec le gouvernement de Youssef Chahed depuis un certain temps, donc l'épisode de la grève générale n'est qu'une étape dans cette longue bataille. Il n'est pas question de douter du rôle historique joué par la centrale syndicale dans l'échiquier politique et social du pays. Il n'est pas question de remettre en cause le patriotisme ou la sincérité de l'UGTT dans ses revendications. D'ailleurs, il y aurait beaucoup de choses à dire sur le comportement du gouvernement en matière économique et sociale. Toutefois, on est en droit de craindre que la centrale historique s'enferme dans des revendications sectorielles ponctuelles qui ignorent la situation générale et le contexte global. Augmenter aujourd'hui les salaires de la fonction publique ne résoudrait aucun problème, elle en créera davantage. Il est aussi à craindre que l'UGTT perde son crédit auprès de l'opinion publique, surtout si l'on rappelle que Lassâad Yaâcoubi et la fédération de l'enseignement secondaire s'apprêtent à répéter le scénario de l'année scolaire chaotique 2017-2018. Sans le soutien d'opinion publique, sans la grandeur des revendications et leur justesse, l'UGTT s'expose au danger d'être considérée comme un énième parti politique déguisé dont le seul souci est de tirer le maximum d'avantages pour ses affiliés. L'UGTT est un facteur d'équilibre dans le pays depuis des années, il ne faudrait pas qu'il bascule dans une opposition stérile en perdant la confiance de l'opinion publique.