Les Algériens expriment depuis plus d'un mois leur ras-le-bol d'un système qu'ils rejettent. La candidature de Bouteflika à un cinquième mandat a été le catalyseur d'un mouvement de contestation inédit. Ces derniers jours, les choses s'accélèrent sous la pression qui se maintient. Il semblerait que le départ du président n'est désormais plus qu'une question de temps. Du côté tunisien, la prudence est de mise. Une déstabilisation du pays voisin est une réelle menace qui pèse sur la Tunisie et sur toute la région. Depuis le début des contestations en Algérie au début du mois de février, les Tunisiens suivent de près les événements. Les Tunisiens sont tiraillés entre l'enthousiasme de voir les frères algériens s'exprimer librement et pacifiquement; et l'appréhension de voir se reproduire le scénario catastrophe de la Libye ou la Syrie. Pour les autorités tunisiennes, l'Algérie est une ligne rouge. Les liens qui unissent les deux nations vont au-delà de l'aspect fraternel entre les deux peuples. C'est une histoire commune, des intérêts économiques, une coopération prolifique notamment au niveau sécuritaire et des centaines de kilomètres de frontières… Il est donc prévisible que la situation politique en Algérie suscite de vives inquiétudes du côté tunisien. Tunis observe de très près l'évolution de la situation et adopte un silence prudent en attendant l'après Bouteflika. Le risque d'un plan de déstabilisation de la région n'est pas une chimère et la Tunisie appréhende un scénario à la libyenne. Le pays se retrouverait pris en tenaille entre, à l'Est une Libye en plein chaos et à l'Ouest une Algérie qui fait face à l'inconnu. Le risque d'un effritement du régime et de l'unité de l'armée en Algérie peut ainsi constituer une brèche pour que des puissances occidentales s'ingèrent dans les affaires du pays et instrumentalisent ses failles internes pour y instaurer le chaos. Poids lourd dans la région, un bouleversement dans le pays voisin aura immanquablement de graves conséquences sur la sécurité et la stabilité dans le Maghreb et le Sahel. Et cela les Tunisiens, en dépit de leur soutien au peuple algérien dans sa lutte pour une vie meilleure, l'ont bien compris.
Mardi 26 mars 2019, la Tunisie vivait à l'heure algérienne. L'appel du chef d'état-major de l'armée, Ahmed Gaïd Salah a, le moins qu'on puisse dire, secoué la scène nationale. Pour la première fois depuis le début des contestations, l'armée s'est exprimée ouvertement pour un changement à la tête de l'Etat. Le général Gaïd Salah avait prononcé un discours historique où il a demandé à ce que soit enclenchée la procédure d'empêchement selon les dispositions de l'article 102 de la constitution. Cela voudrait-il dire que l'armée a lâché Abdelaziz Bouteflika pour se prémunir d'une déstabilisation définitive du régime ? La balle est aujourd'hui dans le camp du Conseil de la nation et du Parlement algériens qui ont la tâche de statuer sur la question. Pour les observateurs, le départ de Bouteflika est acté et il n'y a plus moyen de revenir en arrière, maintenant que l'institution militaire s'est prononcée, le reste ne devrait être qu'une simple formalité.
Dans les milieux politiques, on évoque un coup d'Etat constitutionnel qui permettrait au régime de se régénérer sans transformation institutionnelle profonde. Sur la forme, la destitution du président Bouteflika reste tributaire de l'approbation des deux Chambres en activant l'article 102. Le chef d'état-major de l'armée a répondu à ces accusations, assurant que l'institution militaire ne déviera pas de ses prérogatives constitutionnelles et se tiendra à l'écart des affaires politiques. Ahmed Gaïd Salah a réaffirmé dans ce sens qu'une destitution est la solution à la crise. Mais que prévoit ce fameux article 102, objet d'inquiétudes et d'espoir ? L'article dispose que « lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement, propose, à l'unanimité, au Parlement de déclarer l'état d'empêchement ». Le Parlement doit déclarer à la majorité des deux tiers l'empêchement et charge ainsi de l'intérim du chef de l'Etat, pour une période maximale de 45 jours, le président du Conseil de la nation, en l'occurrence Abdelkader Ben Salah. En cas d'expiration du délai, le Parlement déclare la démission du président et dans les 90 jours qui suivent, une élection présidentielle doit être organisée. Le pays sortira-t-il pour autant de la crise ? Sachant que les revendications de la rue algérienne ne s'arrêtent pas au départ de Bouteflika, mais à une réelle transition conduite par des personnalités ne faisant pas partie du système en place.
Situation tendue en Algérie. Les prochains jours seront déterminants. L'inconnue algérienne interpelle au plus haut point les autorités tunisiennes et à juste titre. Les conséquences d'une déstabilisation seraient spectaculaires et se répercuteraient sur toute la région et même au-delà. La jeune démocratie tunisienne serait la première à être touchée. Dans l'éventualité où un tel scénario se produise, la Tunisie serait dans une situation géopolitique intenable et explosive…