Développer l'auto entreprenariat. L'idée était considérée comme éminemment porteuse. Sa concrétisation, sous la forme d'un projet de loi, a été accomplie à la faveur d'une très large contribution. Ministères, organisations nationales, expertises pluridisciplinaires et associations représentant la société civile ont mis en place des équipes de travail multisectorielles pour doter ce projet de loi des meilleures garanties de démarrage et de réussite. Cela se passe au mois de novembre 2018. Un mois plus tard, Saïda Ounissi, ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle, avait annoncé que le projet de loi en question allait être présenté à l'ARP. A la fin du mois de janvier, un Conseil ministériel a été consacré à « la stratégie nationale d'emploi » dont l'un des axes majeurs concernait précisément la promotion et le développement du statut d'auto entrepreneur. Depuis, rien n'est venu éclaircir cet horizon. La situation de l'emploi serait-elle si florissante pour que les pouvoirs publics s'autorisent autant de lenteur dans le processus de mise en place de cette nouvelle législation ? Pourtant, à lire l'exposé des motifs de ce projet de loi, l'urgence exigeait d'être la règle. Elle l'exigeait d'autant que le projet lui-même n'est qu'une étape, importante certes car elle matérialise une volonté et une détermination à exploiter toutes situations et toutes opportunités pour dégager de nouvelles perspectives à ceux qui sont à la recherche d'emploi, mais aussi à ceux qui sont tentés de régulariser leur situation d'emploi, souvent informel. Le projet de loi définit le statut de l'auto entrepreneur. Il ne détermine pas les activités éligibles à cet entreprenariat. Celles-ci seront spécifiées par décret. Tout comme le cadre institutionnel devant régir et gérer ce nouveau tissu productif.
Selon le projet, le statut d'auto-entrepreneur est accordé à toute personne physique exerçant « individuellement » une activité dans le secteur industriel, agricole, commercial, des services, de l'artisanat ou des métiers pour peu que cette activité lui génère un chiffre d'affaires inférieur à 75 000 dinars par an. Pour cela, les personnes intéressées doivent en faire la demande et être inscrites dans un Registre national de l'auto-entrepreneur. Ce statut est valable durant trois ans, renouvelable. Cependant, ce statut peut, lui, être retiré au bout d'un an s'il ne remplit pas certains engagements : la tenue d'un registre des recettes et des dépenses, l'obligation d'une déclaration mensuelle ou trimestrielle, selon le choix, du chiffre d'affaires et la liquidation conséquente de ses obligations fiscales. Obligations fiscales qui se résument en fait à acquitter 1% de son chiffre d'affaires au titre de l'impôt et 7,5% d'un montant équivalent à 2/3 du Smig ou du Smag au titre de la contribution au régime de sécurité sociale.
Il ne faut pas imaginer que notre auto entrepreneur devra courir d'une administration à une autre pour obtenir son statut ou s'acquitter de ses obligations fiscales et de sécurité sociale. Il n'aura face à lui qu'un interlocuteur : La Poste. En effet, c'est ce service public qui prendra en charge la gestion du Registre national de l'auto entrepreneur à travers la mise en place d'une plateforme électronique dédiée, mais aussi la gestion des déclarations mensuelles ou trimestrielles du chiffre d'affaires et la liquidation des obligations fiscales et de sécurité sociale de l'auto entrepreneur. Le choix porté sur la Poste Tunisienne s'explique par la densité du réseau de cet office public. L'organisme de service public aura certes du pain sur la planche. Cependant, le retour sur investissement sera relativement rapide si, dans la foulée, La Poste obtenait l'autorisation de s'adonner à la l'activité de bancassurance.
Quoiqu'il en soit, tout cela ne répond pas à la question concernant la lenteur du gouvernement à hâter la mise en œuvre d'une telle mesure. Il est vrai que certaines dispositions du projet méritent d'être revisitées sinon clarifiées. Par exemple, la radiation de l'auto entrepreneur du Registre national au cas où son chiffre d'affaires dépasserait le plafond de 75 000 dinars ne serait-elle pas une condition exorbitante alors que des alternatives plus souples peuvent être envisagées comme le relèvement du taux d'imposition pour tout montant du chiffre d'affaires qui dépasserait les 75 000 dinars. Autre exemple, la radiation serait décidée si l'auto entrepreneur réalise plus de 90% de son chiffre d'affaires avec une entreprise dont il était auparavant un salarié. Il est vrai qu'ici, on a tenté d'éviter une « ubérisation » de certaines activités économiques. Toutefois, cette condition ne pourrait-elle pas être applicable après un certain délai, trois ou quatre ans ; le temps que l'auto entrepreneur réussisse à diversifier sa clientèle ?
Malgré ses imperfections, le projet de loi a le mérite de répondre à un double défi : le défi de l'emploi, et particulièrement des nouvelles formes d'emploi que la législation du travail et la législation fiscale du pays n'a pas encore prévu et le défi d'insertion d'un pan entier de travailleurs informels dans le circuit formel de production.