Son nom fait peur et pour cause, le cannabis et plus largement le chanvre, est un mot qui sonne comme une insulte aux oreilles des plus puritains mais aussi à celles d'une majorité de Tunisiens qui n'en savent pas beaucoup sur le sujet. Classé en tant que drogue illégale dans la plupart des pays du monde, le cannabis refait de plus en plus parler de lui. Même l'OMS a récemment proposé de le déclasser de la catégorie IV à la catégorie I des substances nocives. Le cannabis, utilisé à des fins récréatives et le chanvre, trésor économique par excellence, peuvent être les clés d'une économie durable et prospère et ce ne sont pas là des élucubrations d'un esprit enfumé….
De nombreux pays dans le monde ont remis sur le tapis la question de la légalisation du cannabis. Ce n'est pas tant pour les beaux yeux des quelques centaines de milliers de consommateurs que pour les enjeux économiques que cela représente et la manne financière qu'une telle décision peut apporter aux caisses de l'Etat. Il faut le dire, la culture du chanvre ouvre les portes d'une multitude d'opportunités dans des secteurs aussi divers et variés que le textile, la papeterie, la fabrication de carburant, la construction, l'agro-alimentaire et le plastique. Oui, le chanvre c'est tout cela et c'est, en plus, plus écologique. Le cannabis quant à lui offre une option pour un tourisme alternatif de plus en plus prisé dans le monde. Un tourisme qui offre la liberté aux consommateurs de s'épanouir dans un cadre légal mais réglementé un peu comme ont choisi de faire les Pays-Bas qui en tirent 25% de leurs recettes touristiques.
Tout d'abord commençons par remettre les choses dans leur contexte, le cannabis et le chanvre sont deux choses différentes. Ils appartiennent toutefois à la même famille mais le chanvre est très peu concentré en composés psychoactifs contrairement au cannabis. Le chanvre industriel ne contient d'ailleurs presque pas de THC. Dans les deux cas, qu'on cultive le chanvre industriel ou le cannabis Sativa utilisé dans l'industrie pharmaceutique, les retombées économiques sont énormes. Ce sont des informations que nous a confirmées, Kais Ben Halima, fondateur du mouvement “Hezb el warka” et membre actif d'un collectif militant pour la légalisation et la régulation de la production du cannabis en Tunisie. Selon Kais Ben Halima, le chanvre est carrément un « or vert » et si on rechigne à l'admettre et à en généraliser la culture ce n'est ni plus ni moins sous la pression des différents lobbies que cela risque de desservir profondément. Le potentiel du chanvre est si large qu'il pourrait en devenir carrément illimité. Cette plante est résistante, elle pousse partout ou presque et peut être utilisée entière. « Si on veut essayer de parler des différents utilisations de la plante, on peut vraiment y apercevoir les opportunités qui peuvent s'offrir à la Tunisie. Le chanvre peut être utilisé dans l'industrie textile. Il sert à fabriquer un tissu fin, résistant et très peu coûteux en plus d'être plus écologique car la méthode de fabrication nécessite 6 fois moins d'eau que celle utilisée jusque-là. Il en est de même pour le papier. En plus d'être de meilleure qualité, le papier issu du chanvre est résistant et offre une meilleure alternative que celui issu de la pâte d'Alfa qui soumet les ouvriers, aujourd'hui peu nombreux à accepter de faire ce travail, à de rudes conditions. Le chanvre est également une excellente matière première pour fabriquer du plastique, du biocarburant, de la farine, de l'huile et tant d'autres matières. Imaginez l'explosion des exportations et le nombre d'emplois que cela pourrait générer » nous a confié Kais Ben Halima.
Le chanvre Sativa est aussi très prisé par l'industrie pharmaceutique, les bienfaits de la plante ont été prouvés pour traiter les symptômes de nombreuses affections dont ceux de la sclérose en plaques, le syndrome Gilles de la Tourette, l'épilepsie et la maladie de Parkinson. D'autres utilisations sont en cours d'examen notamment pour les cancéreux et l'effet du produit sur certaines tumeurs. « Même les lobbies qui ont longtemps réprimé cette culture car elle offre une alternative très sérieuse aux produits issus du pétrole avec tout ce que cela engage, sont en train de se reconvertir petit à petit. En fin de compte, il en reste un seul qui est difficile à briser, c'est le lobby mafieux car ses intérêts seront fortement touchés. Il faut savoir qu'un hectare de chanvre a une rentabilité de 3.5 millions de dinars et dans le modèle économique qu'on préconise, qui est plus réglementé il peut atteindre les 500.000dt par 1000m². C'est un modèle basé sur l'équité où cette culture sera plus généralisée et moins monopolisée par certaines familles comme c'est le cas en ce moment. C'est en cela que nous serons différents que d'autres modèles adoptés par certains pays comme le Canada. Nous proposons donc un modèle qui repose sur des autorisations accordées pour la culture du cannabis Sativa aux personnes qui possèdent des terres agricoles dont la superficie est supérieure ou égale à 1ha. Cette license sera toutefois valable pour 1000m² de culture seulement avec l'obligation de cultiver les 90% restants selon les recommandations de la STC (société tunisienne de cannabis) qui seront basées sur un plan d'aménagement agricole. Cela permettra de développer le secteur de l'agriculture et d'atteindre in fine la sécurité alimentaire des Tunisiens et de créer un équilibre alimentaire en gérant les cultures pour limiter pénuries et excès. Cela bien évidemment se fera sous un contrôle rigoureux de l'Etat. Nous espérons attribuer dès les deux premières années 10.000 licences qui donneront de l'emploi à 40.000 chômeurs » a expliqué M. Ben Halima. Il ajoute : « L'Etat tunisien détient 490.000 ha inexploités il pourrait y faire ses propres productions de cannabis indica, qui contient le plus de THC et qui est aussi utilisé pour le secteur médical et évidemment en usage récréatif. Ainsi l'Etat pourrait tirer un profit non négligeable de cette dernière utilisation du cannabis. On le voit aux Pays-Bas et ça chiffre en milliards d'Euros, le marché européen sera le plus grand marché au monde en la matière et d'ici 2028 on prévoit, dans le cas d'une légalisation globale, un chiffre d'affaires annuel de 123 milliards d'Euros. Nous sommes aux portes de l'Europe et nous y gagnerons à exploiter ce filon pour attirer non pas des milliers mais des dizaines de millions de touristes qui feront le déplacement rien que pour cela. Evidemment pour ce faire il faut casser l'idée, imposée car en rien vraie, que le cannabis est la drogue des criminels. C'est une drogue dépressive qui calme les gens et ne rend en rien agressif ou meurtrier. Dire que les crimes sont commis sous l'influence du cannabis est faux et c'est d'ailleurs démenti par les études. Il y'a un effort à faire sur les mentalités aussi et bien sûr une collaboration à mettre en place avec les ministères de la Santé et de l'Education. Nous ne sommes pas là pour encourager la consommation de cannabis mais la vérité sur ce produit doit être dite pour casser les légendes et mythes qui l'entourent ».
Il faut savoir que les recettes légales ou illégales de la culture et vente de cannabis se chiffrent en milliards de dollars, que ce soit dans les pays où elle est légale mais aussi dans ceux où elle ne l'est pas. « Au Maroc, cette culture, pourtant illégale génère 23 milliards de dollars annuellement et a fortement contribué au développement économique qu'on connaît du pays. Là on ne parle que d'une partie infime de la plante alors imaginez si on l'exploite comme expliqué plus haut. En Tunisie, 1 milliard de dollars est annuellement transféré vers le Maroc en commerce illégal de cannabis, c'est de la devise qui quitte le pays et qui ne constitue qu'un capital, ce sont en réalité 12 milliards de dollars qui circulent dans le marché noir en Tunisie. C'est un marché qu'il faudra donc nécessairement intégrer et cela règlera de très nombreux problèmes dans le pays. Bien évidemment, il n'est pas facile d'éradiquer le marché noir mais nous avons pensé aux moyens de le faire par la suppression des taxes pour les consommateurs tunisiens notamment » a poursuivi Kais Ben Halima.
Autant de chiffres qui font vraiment réfléchir sur le fait que ce modèle économique basé sur la culture du chanvre reste autant réprimé. Alors qu'il est clairement rentable, en plus d'être polyvalent et écologique, on est en droit de se demander pourquoi nous ne sommes pas déjà dans cette autre économie. La réponse qu'apportent les plus fervents défenseurs de sa légalisation est sans appel : ce sont certaines industries qui font blocage et qui ont manigancé cette interdiction.
Encore une fois, le chanvre est une alternative qui menace les industries du pétrole, des fibres synthétiques, du bois et de bien d'autres secteurs qui constituent des lobbies très puissants. La mauvaise réputation du cannabis, installée puis entretenue par ses détracteurs, est, elle aussi, difficile à ôter des inconscients collectifs. Pourtant, la croissance économique qu'on peut en tirer est bien réelle. Il n'y a qu'à voir ce que cela a engendré dans l'Etat du Colorado aux Etat-Unis comme bénéfices pour l'Etat et les locaux….