Les analyses et les interprétations des résultats des élections tunisiennes se multiplient, essayant de comprendre les causes, superficielles et profondes, de l'imbroglio dans lequel nous nous sommes mis. Nous avons remplacé une minorité corrompue en élisant une masse incompétente (G.B. Shaw). Une abstention de presque 60% des électeurs et en particulier des jeunes marque ces élections : Pourquoi ? L'explication est simple : sous nos cieux, la politique est pourrie jusqu'à l'os, il suffit d'entendre certaines de nos élites présumées parmi les ministres, les députés, les chefs de partis, etc. Mustapha Radid, professeur retraité marocain, avait écrit : « Les électeurs boycottent les élections parce qu'ils ont constaté que la politique est devenue objet de commerce, moyen d'enrichissement et moyen de blanchiment d'argent sale ». Nos élections ne font que confirmer ses dires.
Des élections marquées par « l'achat massif de voix », c'est ce que répètent beaucoup de perdants, repris par certains médias. Alors, si les électeurs sont plus sensibles au dinar sonnant et trébuchant qu'à l'avenir de la communauté, tirez-en les conclusions jusqu'au bout et posez-vous les bonnes questions. Quelle appréciation fait-on de la valeur du Tunisien ? Est-il digne de démocratie ? Faudrait-il abolir le suffrage universel pour que seules certaines castes donneuses de leçons soient autorisées à voter ? Faudrait-il supprimer l'Assemblée des représentants du peuple, comme on le fait préconiser à un candidat au second tour de la présidentielle ?
Un discours politique détaché de la réalité du Tunisien, en mal de communication pertinente et ciblée, a marqué les dix dernières années. Entre les egos surdimensionnés des uns et le populisme des autres, le Tunisien a fait le choix d'ignorer et de mépriser tout le monde. Les campagnes électorales et avant elles les plateaux télévisés et les séances publiques de l'ARP ont permis au tunisien de se faire des idées sur la nature de ses gouvernants. Entre accusations et diffamations, mensonges et délations, tourisme (errance) parlementaire et incompétence avérée, le Tunisien est toujours à la recherche du politique fédérateur qui lui dit ses quatre vérités en face et qui a le courage de décider ou de partir.
Un démembrement de l'Etat a été ourdi pour qu'aucune instance ne décide, entretenu par certains prétendus journalistes et des pseudo-chroniqueurs des plateaux télévisés à la recherche de notoriété en débitant des affirmations douteuses qui remettent en question ce qui reste des vestiges de l'Etat … Ainsi tout y passe : le président impuissant, le gouvernement incompétent, le parlement stérile et vendu, l'administration corrompue et le secteur public pléthorique et inopérant. Ces derniers jours, deux cibles sont visées plus particulièrement : la justice qui serait au service de l'exécutif quelles que soient ses décisions et l'Isie qui serait aux ordres de certains partis politiques. N'allez pas demander au Tunisien de respecter l'Etat, en pâture tous les jours, sous les prétextes de liberté d'expression et /ou « les trains qui arrivent à l'heure, on n'en parle pas ».
Une « élite » qui perd de sa notoriété et de sa valeur de référence se prête à un spectacle désolant dont le dernier est celui qui a été filmé par les uns et les autres, pour justifier ou éclairer sur ce qui s'est passé entre les juges et les avocats. Quelques mois auparavant, nous avons eu droit aux digressions de IJABA et celles du syndicat de l'enseignement secondaire. Comment voulez-vous que le jeune tunisien se reconnaisse dans cette élite de juges, d'avocats, de professeurs et j'en passe ?
Un paysage médiatique superficiel et abrutissant entre feuilletons à l'eau de rose, talkshows hystériques et émissions de variétés débiles, le tout aux heures de grande écoute. Il fut un temps où la radio et plus tard la télévision étaient des leviers de développement culturel et d'émancipation de l'esprit critique … Ceux de mon âge se souviennent sûrement de « samar » feu Abdellaziz Laroui, de « hisset el marâa » de Saïda Meherzi, des dossiers de l'écran, émission d'antenne 2 et autres émissions culturelles de Khelifa Chater. Ce fut un autre temps, peut-être, mais si je compare à ce que je vois et entends à la télévision française aujourd'hui … Il n'y a pas photo.
Et pourtant « Il faut savoir encore sourire … quand qu'il ne reste que le pire » (Charles Aznavour). Un ami algérien, fin observateur de ce qui se passe chez nous, me rassure en me disant « la maturation de la démocratie a un prix et des délais, et la Tunisie est sur la bonne voie … faites un zoom arrière et regardez d'où vous étiez partis ». Par ailleurs, mes activités de retraité, me mettent en contact avec de nombreux jeunes, hommes et femmes, dynamiques, imbus de valeurs sociétales nobles et qui ne demandent qu'à être encadrés et orientés pour innover et « s'éclater » pour un avenir meilleur de la Tunisie. C'est pour cela que je garde espoir car, dit le proverbe marocain, « La vie est un long voyage. Le monde est son bateau. L'espoir est son équipage ». Mais beaucoup d'entre nous, et en particulier nos politiques momifiés dans leurs cadres rigides, devraient « s'en aller sans se retourner … et garder toute (leur) dignité » (Charles Aznavour).
Rappelons-nous que nous n'avons pas d'histoire avec la démocratie et que nous sommes aux premiers coup de pioche pour la construite dans un pays arabo-musulman, selon le modèle occidental, alors qu'au fond de nous-mêmes, nous attendons El Mahdi Mountadhar. Un guide éclairé qui nous sortira du marasme que nous vivons, par une volonté extralucide et que nous suivrons tous, comme les moutons de Panurge. Non, la démocratie et le développement se construisent par la sueur de tout un chacun et par la solidarité de tous pour remettre notre Patrie sur les rails du développement durable.
*Hédi ACHOURI : Médecin retraité du ministère de la Santé Publique