Le processus de transition démocratique se trouve en cette deuxième année depuis les élections du 23 octobre 2011 confronté à un ensemble de difficultés notamment celles relatives à la sécurité, à l'économie, à la finalisation de la constitution et à la préparation des prochaines échéances électorales. L'élite politique (gouvernement et opposition) semble très mal partie pour dépasser ce type de difficultés. Le blocage du dialogue national est le signe du désarroi croissant d'une élite politique qui perd de plus en plus son ancrage populaire et dont les composantes- officiellement engagées dans le dialogue national et déterminées à le faire réussir- semblent se cantonner dans un mutisme réciproque. La partie de cette élite qui se trouve aujourd'hui au gouvernement dit à qui veut l'entendre que la ligne rouge est la légitimité. Et à défaut de pouvoir penser en termes d'adversaire politique l'autre partie de l'élite politique qui forme aujourd'hui l'opposition, l'élite au gouvernement s'accroche désespérément à la théorie de l'ennemi qui pourrait étayer la thèse du complot contre la démocratie et contre la volonté du peuple. En face, une bonne partie de l'opposition incapable de comprendre le rôle central des passions en politique et la nécessité de les mobiliser tout simplement dans la perspective des objectifs de la révolution, préfère agiter de vieux épouvantails en s'imaginant qu'elle va pouvoir ainsi exorciser le mal par le biais des plateaux télévisés de plus en plus critiqués par les spectateurs qui peinent de plus en plus à joindre les deux bouts du mois et à déchiffrer le discours ésotérique des hommes politiques. En effet, une lecture croisée des discours des uns et des autres permet d'éclairer le ras-le-bol et la colère exprimée par des Tunisiens dans plusieurs régions dans le pays. Le mobile des mobiles de toutes les manifestations qu'a connues le pays ces derniers jours avec les quelques dérapages qu'on connaît est un sentiment de désenchantement et de désespoir qui commence à gagner les esprits et les comportements. L'élite politique doit savoir décoder le message politique du mouvement social et savoir mesurer l'impatience des Tunisiens. Et surtout, elle doit savoir mesurer le potentiel révolutionnaire des Tunisiens qui ont su montrer par le passé leur capacité à porter les contradictions à leurs limites politiques et à construire le nouveau en conjuguant les passions sociales aux passions politiques. Sinon, l'élite politique se trouvera tôt ou tard déconnectée par défaut du mouvement social et citoyen, et dépassée par les évènements. En effet, lorsqu'il y a carence de perception politique intelligente du mouvement sociale et citoyen et, par conséquent, d'enjeux démocratiques autour desquels des programmes politiques peuvent se cristalliser, l'élite politique déconnectée par défaut se condamne à se trouver hors-jeu de l'histoire. Alors, quand les composantes de l'élite politiques vont-elles cesser leurs querelles de chapelle héritées des années 1970-80 et se mettre à l'écoute des demandes sociales et économiques réelles des Tunisiens et s'engager corps et âme pour finaliser le processus de transition démocratique ?