Candidat largement plébiscité au second tour de la présidentielle, l'énigmatique Kaïs Saïed est le président de toutes les convoitises. Hormis les partis politiques et collectifs de jeunes qui s'entassent pour le soutenir, Kaïs Saïed s'attire aussi la « sympathie » à peine déguisée de nombreuses personnalités qui se damneraient pour avoir une place à ses côtés. L'homme reste impassible. Au-delà de son visage impavide et de ses paroles saccadées, Kaïs Saïed refuse de donner les noms des personnes qui l'accompagneront dans sa fulgurante ascension au palais de Carthage. L'occasion pour de nombreuses personnes de se proclamer « conseillers » et « proches » du futur président de la République. Sans que le principal intéressé n'ait réellement accepté leurs « candidatures ».
Rachida Ennaifer, professeure à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis et ancienne journaliste à La Presse, se présente comme « une amie de Kaïs Saïed ». Dans une interview publiée le 18 octobre sur France Info, Rachida Ennaifer explique : « je ne suis pas une conseillère, je suis une amie. J'ai participé à la longue gestation de son projet sur lequel nous avons beaucoup échangé. Aujourd'hui, je le soutiens ». Questionnée sur son ambition de briguer un cabinet ministériel, Rachida Ennaifer dément être intéressée par un poste au sein du gouvernement. « Jamais ! Pour moi, un ministre, c'est un fonctionnaire. Et être fonctionnaire, ce n'est pas mon fort ! », dit-elle sans détour. Elle affirme cependant avoir envie de « continuer à rêver et à enrichir le projet présidentiel. Je souhaite travailler sur des projets pour ma Tunisie ». Rachida Ennaifer explique, par ailleurs, avoir participé à la création du Centre de Tunis de droit constitutionnel pour la démocratie, présidé par Kaïs Saïed et dont elle était vice-présidente. « Nous avons fait du lobbying auprès de la constituante et rencontré de nombreuses personnes. Cette action a été assez médiatisée. Nous avons été très sollicités », explique-t-elle. Selon les bruits de couloir, Rachida Ennaifer est pressentie pour devenir membre de la cour constitutionnelle. Un poste qu'elle n'est pas la seule à convoiter.
Jaouhar Ben Mbarek, constitutionnaliste et coordinateur général du mouvement Dostourna, semble croire, lui-aussi, qu'il ferait un « excellent candidat » pour le poste. C'est du moins ce que son discours laisse paraitre. Celui qui était, au premier tour de la présidentielle, du côté de Mohamed Abbou, change de camp au second tour et décide de se ranger du côté du gagnant. A peine Kaïs Saïd placé en tête au premier tour, Jaouhar Ben Mbarek s'empresse d'afficher un soudain soutien inconditionnel au futur président. Sur sa page Facebook, le 16 septembre, soit le lendemain du premier tour de la présidentielle, Jaouhar Ben Mbarek écrit : « Parce que je le connais depuis longtemps, je peux vous assurer que Kaïs Saïed est un homme honnête, clean et sérieux qui n'a rien à voir avec l'extrémisme, le salafisme ou autres. Il est peut-être un rêveur, un utopiste ou un conservateur, mais il a des valeurs et aime les gens. Je suis en désaccord avec certaines de ses idées et ses convictions quant aux solutions globales, mais je le respecte. Je l'élis au second tour et je souhaite sa victoire sur les mafias et le système des pourritures ». Depuis des jours, Jaouhar Ben Mbarek qui se faisait plutôt discret sur la scène politique, multiplie les apparitions pour parler de « vote fondateur », et « programmatique » et de « référendum populaire contre la corruption », commentant la victoire de Kaïs Saïed.
Kaïs Saïed aujourd'hui élu avec plus de 72% des voix continue de faire planer le doute sur son futur cabinet présidentiel mais aussi sur les personnalités qui lui sont proches ou dans lesquelles il pourrait placer sa confiance et nommer, donc, dans des postes clés. Tout comme il l'a fait lors de la campagne pour la présidentielle où il s'est présenté sans directeur de campagne, sans représentant officiel, sans chargé de communication et sans porte-parole, on ne sait toujours pas de qui sera entouré Kaïs Saïed une fois à Carthage. Plusieurs personnalités sont, pourtant, apparues dans les médias, lors de la campagne, pour se proclamer « soutiens » de Kaïs Saïed et pour parler en son nom. On en cite, entre autres, Ridha Mekki, Naoufel Saïed, Kaïs Omri, Kamel Gharbi, Faouzi Dâas, Nesrine Mrabet, Hamza Laâbidi, Kaïs Karoui… Depuis son élection, Kaïs Saïed est encore plus convoité. Qui nommera-t-il à ses côtés à Carthage ? Et quels membres désignera-t-il à la Cour constitutionnelle, objet de nombreux blocages depuis des années ? Le président de la République étant en charge de la désignation de 4 noms sur les 12 membres de la fameuse cour.
Pour déposer son CV auprès de Kaïs Saïed, il faut d'abord et avant tout l'avoir côtoyé de près dans son milieu naturel, autrement dit au sein de la faculté de droit. Les confrères, anciens collègues et anciens étudiants semblent se placer en première ligne pour briguer un poste aux côtés de Saïed. Autre atout de taille à prendre en compte, maîtriser son discours, être calé sur les questions juridiques et constitutionnelles, et faire croire qu'on a « percé le grand projet de Kaïs Saïed » et qu'on « y place de grands espoirs ».
Le futur locataire du Palais de Carthage, de nature taciturne et discret, parle peu et certains en profitent pour parler à sa place. Une position confortable qui n'est pas pour déplaire au président élu qui semble nourrir le flou en attendant de se prononcer sur le destin de tout ce beau monde. Saïed sera officiellement investi président mercredi 23 octobre. Il ne pourra pas longtemps faire primer le doute, au risque de décevoir beaucoup de prétendants…