Le Chef du gouvernement intérimaire a annoncé que deux décrets gouvernementaux seront émis cette semaine pour définir les mécanismes, les modalités et les critères d'octroi de la prime d'intéressement objet des dispositions de l'Art.28 de la Loi organique n°2017-10 du 7 mars 2017 relative au signalement des faits de corruption et à la protection des lanceurs d'alertes. Cette prime serait de 5% des montants récupérés à chaque révélation et ne pourrait dépasser 50 mille dinars. Premier élément d'attention. Il est légitime de s'interroger sur le moment. Pourquoi avoir attendu autant pour sortir ses textes d'application ? [32 mois]. Deuxième élément, et sans revenir sur les raisons qui ont motivé le choix du législateur et ses sources d'inspiration en matière de comparables, je suis de ceux qui pensent que dans une démocratie en construction, le ressort principal qui doit motiver la mise en place de nouvelles pratiques plus vertueuses ne doit pas être l'appât du gain sous quelque forme que ce soit.
De toutes les voies possibles pour endiguer et combattre la corruption, c'est assurément la plus mauvaise et la plus contre-productive. L'histoire le démontrera quand on se sera donné la peine d'évaluer cette approche quelques années plus tard. De mon point de vue l'appât d'une prime d'intéressement est éthiquement condamnable, politiquement irresponsable et techniquement irréalisable. On monétise ce qui était auparavant une exigence morale. Révéler, dénoncer, alerter sont d'abord et avant tout des exigences morales et des preuves de citoyenneté responsable dans l'intérêt général. L'argent ne doit pas être le seul horizon de tout comportement éthique. Ce n'est pas comme cela que l'on forme les nouvelles générations à la vertu et à la citoyenneté. Le comportement vertueux n'attend pas de récompense autre que celle du devoir accompli.
C'est le plus mauvais des services que l'on puisse rende à la cause de la lutte contre la corruption qui est un travail de conscientisation, de responsabilisation et de démonstration de ses dangers qui sapent les fondements de la cité. Ce travail commence dès les premières années de l'école à force d'éducation, d'exemples de bonnes pratiques et continue jusqu'à l'insertion dans la vie professionnelle. D'abord, il faut distinguer l'ennemi à abattre. Transparency International distingue deux types de corruption : la « grand corruption », qui concerne principalement la commande publique et qui est somme toute maitrisable par des procédures de contrôle interne, et la « petty corruption », malheureusement pandémique, qui concerne les actes de tous les jours avec l'administration, les autorités diverses et les concessionnaires publics, qui est la plus dangereuse, la plus difficile à combattre, touche les plus vulnérables et les plus fragiles et constitue quasiment un impôt sur le pauvre. Que fait-on pour cela ?
Nous avons vécu un précédent de dédommagements de militants politiques pour préjudices subis qui a écorné durablement la notion d'engagement politique désintéressé et de dévouement à la cause commune. Comme s'il fallait attendre un retour sur investissement de toute action de salubrité publique ou de tout engagement citoyen. Remettons en place les vraies valeurs de service public, d'intérêt général, de volontariat et d'attachement à la justice. Comment peut-on bâtir une nouvelle société équilibrée, réconciliée avec les valeurs de justice, de primauté de la loi, de redevabilité et de responsabilité individuelle de ses actes, sans idéal éthique et sans autocontrôle ? “La morale commence là où s'arrête la police.”[Dixit Alain]
Le travail de sensibilisation, d'éducation, de veille et de révélation que fait l'Inlucc est exemplaire à ce titre sans avoir besoin de l'appât de la prime d'intéressement. Laissons cette instance faire son travail correctement et donnons-lui les moyens de protéger les lanceurs d'alertes, de les guider, de travailler sur des histoires de succès, sans polluer son action par des considérations mercantiles.