Monsieur le ministre, cher ami, Il fut un temps pas très lointain, vous étiez de ce côté-là du système, vous étiez ce chef d'entreprise dont la préoccupation majeure était de vendre son produit créé par son équipe et recouvrir ses factures émises ; puis payer (largement) son équipe et les factures reçues par ses fournisseurs. Tel que je vous connais, votre objectif premier n'était pas de collecter des dividendes, mais de payer son équipe et réinvestir ensuite afin d'agrandir sa holding et recruter encore et encore, parmi la crème de l'université tunisienne. Rappelez-vous, c'était il n'y a pas longtemps. En ce temps là, vous maudissiez, comme nous tous, la bureaucratie de l'administration, la fiscalité archaïque, l'impôt cuisant et les intérêts usuriers. Aujourd'hui, vous avez la « malchance » d'être passé de l'autre côté de la barrière, pour faire désormais partie intégrante du système. Vous êtes même le cœur du système, en votre qualité de ministre des Finances. C'est votre choix, je peux le comprendre, quoique je ne le soutienne guère, car je sais que ladite machine broie son homme. Ce que je ne peux pas comprendre, en revanche, c'est votre courte mémoire de ce que vous étiez hier, quand vous-même étiez au poste qu'est le mien : chef d'entreprise redevable des salaires de dizaines de familles. Comment vais-je les payer cette fin du mois, si mes clients confinés ne peuvent honorer leurs factures et que vous, vous m'ajoutez de la pression en exigeant de payer de suite la déclaration de février ? Comment vais-je payer si votre collègue des Affaires sociales me demande de payer la CNSS du 1er trimestre avant le 15 avril ?
Alors voilà, monsieur le ministre, je vais vous citer les solutions qui s'offrent à moi, que vous connaissez certainement, mais que vous avez oubliées en si peu de temps. La première solution : Je vais commencer par ne pas payer les jours de confinement de la femme de ménage et je vais renvoyer deux, trois, quatre, cinq journalistes. Les plus jeunes et les plus fragiles bien entendu. Je vais ensuite charcuter les salaires des rédacteurs en chef et ignorer tous mes fournisseurs, y compris ceux qui me sont vitaux à la poursuite de mon activité, comme l'hébergeur. Ce n'est qu'ainsi que je pourrai alimenter votre trésorerie vide pour ce mois de mars. Inutile de vous rappeler que toutes ces personnes licenciées vont manquer de pouvoir d'achat, au grand dam de votre collègue ministre du Commerce, et vont venir allonger la queue devant votre collègue de l'Emploi. Bien entendu, vous allez être privé des milliers de dinars d'impôt sur le revenu et de taxes que ces nouveaux chômeurs (mes ex-salariés) vous versaient indirectement chaque mois. En bon expert sorti des grandes écoles, vous savez comme moi, que si j'en suis là, c'est que je suis déjà mort et que ce ne sont pas ces économies de bout de chandelle qui vont me sauver. Je vais donc mourir au mois d'avril et tant pis pour votre tréso ! Mes rédacteurs en chef, tout comme mes ingénieurs, iront travailler en Europe, alors que moi je vais entamer, à vos frais, une énergivore et chronophage traversée des tribunaux.
La deuxième solution : vous envoyer balader avec la CNSS. Je paie tout mon personnel, y compris la femme de ménage en dépit de ses jours confinés non travaillés. J'aurai la conscience tranquille, mon activité se poursuivra et tant pis pour votre trésorerie en ce mois de mars. Je vous mettrai devant le fait accompli et on verra plus tard si jamais mon poids justifie l'envoi d'un contrôle fiscal. Un contrôle qui ne servira à rien puisque ma trésorerie aura été vidée au profit de mon personnel, sans qui je ne serai pas ce que je suis. Vous allez assumer la faute de vos prédécesseurs, dont l'actuel chef du gouvernement, qui n'ont rien fait pour réformer la fiscalité et faire intégrer le commerce informel et tous les évadés fiscaux, dont certains se trouvent à l'assemblée même !
C'est évident, la première solution est mauvaise pour vous et la deuxième est pire. La deuxième est mauvaise pour moi et la première est pire. Au lieu de cette politique perdant-perdant que vous entreprenez au gouvernement, je vous invite à retrouver vos hobbies d'antan, à savoir la lecture des politiques étrangères dans les magazines spécialisés. Je vous invite à voir ce qu'ont fait plusieurs pays européens à la trésorerie aussi vide que la nôtre et au déficit budgétaire pire que le nôtre. Cette solution me semble idoine, car c'est du gagnant-gagnant pour tout le monde et elle demeure mille fois meilleure que le bricolage que vous faites actuellement à la Kasbah.
La troisième solution : me donner la garantie de l'Etat à hauteur de 25% de mon chiffre d'affaires de 2019. Pour mon frère, qui a une toute nouvelle start-up, vous lui donnerez un montant égal à 25% de son capital ou de sa prévision de charges dument établie et déjà déposée auprès d'un organisme officiel. De cette garantie de l'Etat, bien entendu, vous exclurez tous les évadés fiscaux et interdits bancaires, ainsi que ceux ayant fait preuve d'une fraude fiscale. Je vous vois d'ici me dire : « et qui me dit que tu ne vas pas te sauver avec l'argent que la banque t'aura donné avec ma garantie ? ». Je vous réponds : cher ami, vous me connaissez ! Je ne suis pas un malhonnête homme ! Vous avez mon B2, mon B3 et que sais-je encore ! Vous n'avez pas le droit de faire un a priori négatif ! Vous savez parfaitement que nous sommes majoritairement honnêtes ! Regardez les pays développés et notamment les Etats-Unis : tout individu est honnête, jusqu'à preuve du contraire. Notre propre système fiscal est basé sur le déclaratif, c'est-à-dire sur le préjugé positif, c'est-à-dire sur l'hypothétique honnêteté. Il y a tellement à gagner si on se fait confiance !
Et puis où voulez-vous que j'aille ? Je n'ai nulle part où aller que la Tunisie ! Je ne peux pas lâcher mon entreprise (j'allais dire mon bébé) et mon personnel. Je ne peux pas salir mon nom, je ne peux pas être malhonnête. Les entreprises comme moi représentent l'essentiel (on parle de 80%) du tissu économique tunisien et les chefs d'entreprise honnêtes, comme moi, représentent l'essentiel des hommes d'affaires tunisiens que vos collègues diabolisent tant. Mais si, par malheur, je pars, vous aurez toujours le loisir de m'empoisonner l'existence avec un fichage fiscal et bancaire, voire même aux aéroports !
Regardez le bénéfice immédiat d'une telle solution ayant montré ses preuves ailleurs : - Ma banque va me prêter un montant de rêve représentant 25% de mon CA au TMM+1 grâce à la garantie de l'Etat (le temps n'est pas à la spéculation et aux taux usuriers). Ce montant va me permettre d'honorer immédiatement mes engagements fiscaux et sociaux. Plus donc besoin d'échéanciers comme le préconise la solution présentée par Elyes Fakhfakh. Ma trésorerie sera alimentée, la vôtre aussi ! - Je vais épargner à mon entreprise tout plan social, je ne vais licencier personne, je vais même payer les jours confinés de mes salariés qui n'ont pas travaillé. - Je vais pouvoir payer mes fournisseurs. - Avec tout l'argent prêté, je vais pouvoir investir pour la relance de mon entreprise. L'enthousiasme général sera tel que mes salariés et moi-même produirons bien davantage qu'avant, après avoir vu la mort en face ! - Vous allez donc recevoir mes impôts, mais aussi celles de mes salariés et de mes fournisseurs ! - Les banques, qui ne demandent pas mieux que de prêter tout cet argent (même à taux réduit, elles gagneront sur le nombre) vous accorderont tout de suite l'aval, car elles seront associées au succès, alors qu'elles sont actuellement associées à la cupidité et au gain facile. - Cette troisième solution ne vous coûtera rien concrètement Monsieur le ministre. Elle ne touche pas votre trésorerie, il y a tout à gagner et presque rien à perdre. - Elle donne, en plus, une excellente image de la Tunisie à l'international. Une telle image, d'un pays qui aide ses entreprises en temps de crise, vaut son pesant d'or auprès des investisseurs étrangers.
Maintenant, imaginez toute cette croissance dans le pays créée par une simple décision signée par vos mains et validée par Elyes Fakhfakh qui a encore beaucoup d'autres chats à fouetter. Cher ami, vous avez l'opportunité historique de sauver la Tunisie et son tissu économique, de sauver des milliers d'emplois, de renflouer nos caisses et les vôtres et de renouer avec une croissance à deux chiffres ! Ecoutez votre tact et votre rationalité, faites comme font vos collègues européens et ne vous laissez pas dévorer par un système soigneusement entretenu par des fonctionnaires n'ayant ni votre expérience, ni votre vision !
Avant de finir, je vous invite, Monsieur le ministre et cher ami, à modérer vos collègues du gouvernement et quelques députés qui ne cessent de diaboliser le capital et les hommes d'affaires notamment nos représentants légaux MM. Samir Majoul et Tarak Cherif. Les hommes d'affaires, qui font l'économie tunisienne, sont le boulanger du quartier, le café du coin, la pizzeria du bout de la rue, la start-up créée par le jeune cousin, la société de matériaux de construction, c'est ça les hommes d'affaires ! Que vos collègues cessent de mettre dans le même sac ceux qui font 80% de l'économie tunisienne avec quelques requins. Aucune corporation n'est blanche comme neige, les corrompus et voleurs existent dans tous les secteurs. Quant à la cinquantaine de gros riches patrons de holdings, vos collègues ministres n'ont qu'à les contacter. Car figurez-vous, vos collègues qui les diabolisent n'ont même pas pris la peine de les appeler au téléphone et je pèse mes mots. Laissez-les sortir de leur confinement et rejoindre leurs entreprises pour voir où puiser l'argent nécessaire et ils le donneront, sans même le crier sur tous les toits, comme ils l'ont toujours fait. Vos collègues ministres et les députés ne sont ni plus patriotes, ni plus honnêtes que ces richards-là, loin s'en faut !
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