Ni la canicule tout a fait inattendue en cette période de l'année et qui s'est abattue sur le pays depuis le début du jeûne, ni la fin des vacances qui laissent exsangue la bourse des Tunisiens, ni enfin la rentrée des classes qui représente un temps fort dans la vie des familles, n'y ont rien fait. Le Ramadan continue, imperturbable, de marquer avec panache son omniprésence un mois durant dans le quotidien des tunisiens qui vivent ce mois comme un moment prévilegié plein de piété et de grâce. C'est qu'en Tunisie, pays de la tolérance et de l'islam du juste milieu, le ramadan revêt une couleur et un goût particuliers. Il est certes synonyme de ferveur religieuse mais aussi de réjouissances et de fête. C'est un mois où spiritualité et vie matérielle se conjuguent pour donner à l'existence du Tunisien un sens différent, loin de la routine des jours ordinaires. Les Tunisiens non seulement s'y ressourcent mais y retrouvent aussi leur identité et une occasion pour se réconcilier avec eux-mêmes. Aussi, vivent-ils intensément ce mois dont ils observent religieusement tous les rituels. Au-delà du dogme religieux, le ramadan constitue dans notre pays un fait culturel. Plus que tout autre rite, il reflète l'âme et la personnalité tunisiennes, qui allient, dans un subtil mélange d'équilibre et de modération, un attachement indéfectible à la tradition et aux impératifs de la modernité, tous facteurs qui confèrent au ramadan tunisien son parfum de terroir. Conscient de l'importance de ce rendez-vous incontournable, le gouvernement tunisien s'y prend longtemps à l'avance, pour que les citoyens ne manquent de rien pour vivre pleinement leur jeûne sans autre souci que celui de se consacrer entièrement à leur devoir religieux loin de la peur d'une quelconque pénurie ou spéculation sur les prix des produits des divers ingrédients de la cuisine ramadanesque. Une cuisine qui, on le sait, est riche et variée, fruit d'une tradition gastronomique multiséculaire et à la confluence des nombreuses civilisations qui ont émaillé l'histoire du pays (berbère, carthaginoise, romaine, arabe, turque, etc…). Aussi, ne compte-t-on pas les quantités d'œufs, de viandes, de lait, d'épices, etc… Préparées pour répondre aux caprices du palais au cours de ce mois saint. Bonne nouvelle, le pays a réalisé, grâce à une politique agricole d'avant-garde son autosuffisance dans la plupart de ces denrées si bien que les prix sont restés tout à fait abordables pour les bourses les plus modestes et les marchés regorgent-ils de fruits et légumes et divers autres produits témoins d'une prospérité retrouvée et que l'on constate aisément dans les tables de l'iftar richement garnies et qui se ressemblent à s'y méprendre quel que soit le milieu où l'on se trouve. Sur ces tables les plats traditionnels (briks, chorbas, salades) côtoient les plats nouveaux. Quelle que soit la catégorie à laquelle elles appartiennent (médecin, femme au foyer, fonctionnaire), les ménagères montent toutes au créneau pour mijoter amoureusement pour leur famille des plats dont elles ont piqué la recette dans la cuisine internationale et particulièrement méditerranéenne (Italie, Maroc). Sans compter les fameuses dattes dont on dit que le Prophète se servait en premier pour rompre son jeûne et la bouteille de soda qui trône en milieu de table à côté des multiples variétés de pains et gâteaux concoctés pour l'heureux événement. Mais les réjouissances ne s'arrêtent pas là. Les médias, télévision en tête, et les maisons de culture n'y vont pas de main morte pour égayer les fameuses soirées ramadanesques. La création artistique atteint pendant ce mois son pic dont elle ne descendra du reste que le ramadan d'après. Séries télévisées, sitcoms, sketches et autres caméras cachées et concerts musicaux sont déclinés dans toutes sortes de formules, intra et extra muros, faisant en sorte que le divertissement soit garanti tout le long de ce mois béni. Des formes de spectacles fort anciennes renaissent même de leurs cendres tels que le fdeoui qui égrène tout au long de la soirée la saga de la tribu des Béni hilal, ancêtres de bon nombre de Tunisiens. Aussi, nos villes habituellement désertes la nuit, s'animent-elles des bruits d'une foule bigarrée et compacte qui, sitôt la rupture du jeûne accomplie, envahit terrasses de cafés, théâtres et places dans un ballet incessant de va- et- vient qui leur confère un aspect haut en couleurs . Avec l'avènement de l'Aid, point d'orgue de ce moment lumineux, la fête atteint son point culminant qui consacre le caractère magique et fugace du mois saint.