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Saïda Manoubiya et la Nahdha hafside
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 07 - 11 - 2012


Par Emna BEN MILED
Il y a la vraie et la fausse Nahdha. Pour les distinguer il faut retourner à l'étymologie de la langue arabe. C'est dans le Lissan el Arab que l'on trouve la bonne définition de ce terme. Ce grand dictionnaire en 12 volumes est devenu la référence mondiale de la langue arabe et il ne faut pas oublier de dire qu'il a été rédigé par le Tunisien Ibn el Mandhour.
Au sens étymologique du Lissan el Arab, la Nahdha désigne l'éveil, la renaissance, la vigilance intellectuelle. Or, notre époque hafside a connu une véritable Nahdha de l'esprit humain avec de grands intellectuels comme Ibn el Mandhour, Ibn Khaldoûn ou Saïda Manoubiya. Les wahhabites ont brûlé son mausolée ce mois d'octobre 2012, un mausolée qui a été protégé par tous les Etats régnants depuis le 13e ! Elle avait 43 ans quand Ibn el Mandhour est né et elle a précédé d'un demi-siècle (66 ans) l'époque d'Ibn Khaldoûn.
Du plus profond de son 13e siècle, elle nous a enseigné ce qu'être libre veut dire. Son vrai prénom c'est Aïcha.
A partir des années 40 du 20e siècle une dizaine d'historiens se sont relayés pour lui consacrer une partie de leurs travaux scientifiques. Elle est née dans le petit village rural de La Manouba. Sa langue maternelle est la langue amazigh, dite berbère. C'est Ibn Khaldoûn qui témoigne des langues parlées en Tunisie à l'époque hafside. Il précise dans sa Mûqqadima au chapitre 6 que le berbère est parlé partout à travers toutes les campagnes sauf dans les grandes villes. Et que même dans ce cas, on y mélange encore beaucoup les deux langues.
Aïcha devient bilingue dans l'enfance. Son père occupait une fonction religieuse (meddeb, imam ? on ne sait pas très bien) et lui enseigna la langue arabe et le Coran. A l'adolescence elle ne fut pas enfermée et elle fréquentait les gens du village librement. Son père la protégea contre le harcèlement sexuel dont il lui arrivait de se plaindre. Un cousin la demande en mariage, elle n'accepte pas. Quelle est la valeur d'un mariage sans amour ? L'horizon de la campagne ne lui suffit plus, elle émigre. Arrivée à Tunis, elle résout ses problèmes de logement et de travail. Elle s'installe dans un faubourg de la médina en arrière de la Kasbah au lieu dit Rahbèt el ghnam où l'on vend moutons et pâturages.
La liberté repose sur l'indépendance économique. Elle est tisseuse. Le tissage ? Elle l'a appris dans son enfance à ‘l'école de sa mère' une école spécialisée en filage-tissage féminin. Depuis l'époque carthaginoise, nos aïeules figurent sur nos mosaïques en train de filer tranquillement leur laine.
Puis Aïcha s'inscrit dans une école, on dit Zaouia, d'enseignement de l'islam soufi dirigée par Sidi bel Hassen. Une école qui diffère du malékisme par son plus grand humanisme. L'entrée n'est pas interdite aux femmes tout comme d'autres Zaouia de l'histoire du pays ( Sidi Mehrez, 10e siècle, Sidi ben Arous, 13e siècle). La mixité naturelle est bien vue.
Le professeur en soufisme de Aïcha, Sidi bel Hassen, est un élève direct d'Abou Madyan, lui-même élève direct d'Ibn Arabi l'andalou. L'école andalouse d'Ibn Arabi affirme l'égalité des êtres humains, hommes, femmes, chrétiens, juifs... Aïcha n'a pas connu directement Ibn Arabi. Quand il est venu deux fois en Tunisie, elle était encore enfant et n'avait pas dépassé ses huit ans. Mais elle deviendra ‘habitée' par une chaîne de transmission spirituelle qui aboutit à lui.
Elle apprend la Tariqa soufie par étapes, passe des examens et de jeune disciple elle finit par accéder à un statut égal à son professeur. Un dialogue se crée entre deux êtres d'intelligence et de connaissance. Un couple spirituel. Sidi bel Hassen le Marocain et Saïda Manoubiya la Tunisienne. L'unité et la modernité du Maghreb avant l'heure ? Les autres disciples de la confrérie viennent nombreux pour assister à leurs débats réguliers d'idées. L'école du soufisme se fonde uniquement sur le Coran et sur la Sîra du Prophète. Elle tourne le dos à la Charia, à ses Madhahèb et à son corps de législateurs. Elle est libre dans ses interprétations du Coran. Pour cette raison elle est ciblée comme haram par les wahhabites. Le wahhabisme fondé au 18e siècle en Arabie Saoudite a pris son expansion mondiale après la découverte du pétrole. C'est une école d'anti-humanisme qui insiste sur la crainte de Dieu et sur la violence. Le soufisme insiste sur la paix, la joie des cœurs et l'amour de Dieu. Les soufis sont des romantiques, ils voient avec le cœur, voire avec ce qu'ils appellent l'œil du cœur. L'amour est ma religion et ma foi écrit Ibn Arabi. Pas de visa pour les lumières. L'œuvre de ce dernier est interdite d'accès en Arabie Saoudite.
Aïcha est réputée pour avoir récité le Coran 1620 fois dans sa vie. Elle ne porta pas de voile. Il y a une théorie derrière son choix. Elle est dans le fil théorique d'Ibn Arabi. Dans son œuvre principale les Foutouhât el Meqqia, celui-ci insiste sur la séparation entre la personne intime et son apparence sociale, entre son Dhahèr et son Batèn. Seul l'être profond pris dans son amour, voire sa foi en Dieu, a du sens. Dans la Tunisie de la post-révolution, le voile des femmes, la barbe des hommes ou encore la nouvelle mode de la tâche de couleur marron sur le front, ne servent qu'à insister sur l'apparence, ce qui est à l'autre bout du soufisme.
La femme, nous dit Jalel ed-dine er Roumi, élève direct d'Ibn Arabi, est un rayon de lumière divine. La lumière, le Noûr. Rien à voir avec le nombre croissant de femmes qui avancent cachées sous des tissus de couleur sombre donnant à penser qu'en Tunisie la nuit est tombée...
On imagine Aïcha portant une robe de laine blanche, le Bdèn soufi, à l'image des autres membres de sa confrérie. C'est une rupture courageuse avec la charia qui considère que la femme doit porter le voile parce qu'elle est jugée aoura (ce terme tire son origine de l'hébreu erva). Le voile des cheveux et du visage sont cités dans la Bible juive (Genèse et Cantiques). Hélas, à travers les âges les‘répétiteurs' de la charia ne se sont souciés ni de contextualiser historiquement les aspects de la charia, et même les plus cruels d'entre eux, ni de vérifier scientifiquement leur origine pré-islamique juive.
Une Aïcha sans voile choqua. Un cadhi souhaita sa lapidation (la lapidation est absente du Coran, elle est citée dans la Bible juive «Torah, livre v»). Le sultan Abou Zakaria prit sa défense. Il était sensible aux idées que l'école de Sidi Bel Hassen avait répandues dans la société et il respectait Aïcha. Un jour, il voulut parler avec elle et c'est lui qui se déplaça. Celle-ci avait l'habitude de traiter d'égal à égal avec tout le monde, déstabilisant les hiérarchies habituelles, homme, femme, gouvernant-gouverné(e). En islam soufi, ce qui compte c'est le degré d'élévation spirituelle de la personne humaine. Une citoyenne-démocrate avant l'heure ?
Elle était anti-mariage, il faut la comprendre. Les citadines de son époque étaient enfermées, surveillées et obéissantes au mari. Ibn Khaldoûn affirme dans sa Mouqqadimâ que les femmes et les enfants doivent obéissance. La démocratie dans le couple ou partenariat moderne, la charaqa était un impensé philosophique pour l'époque, y compris pour notre très cher Abderrahmane... Bnèt Ghania, les trois filles Ghania (la prestigieuse rue Bab Bnèt leur doit son nom) et que connut directement le père d'Ibn Khaldoûn, refusèrent elles aussi de se marier.
Un(e) précurseur(e) de l'universalité des droits de l'homme ? Aïcha s'opposa à l'esclavage six siècles avant sa date d'abolition officielle en Tunisie (1846 sous Ahmed Bey) . Il lui arrivait de racheter à des prix d'or les captifs tunisiens réduits à l'esclavage et embarqués en Italie. A-t-elle parlé l'italien en plus de ses deux langues de base, l'amazigh et l'arabe ? Cette question se pose. Comment, dans quelle langue, a-t-elle négocié le rachat financier de ses compatriotes embarqués en Italie ? Nos ancêtres hafsides étaient très ouverts aux échanges linguistiques et commerciaux avec l'Europe, c'est attesté par les historiens. Ils n'avaient pas trahi nos heureuses habitudes de bilinguisme et de trilinguisme qui remontent à l'époque où Carthage fut la capitale du pays avant Tunis.
Lorsque Sidi Bel Hassen décida de quitter la Tunisie pour l'Egypte, il éleva Aïcha au rang de Kôtb. Il s'agit du degré spirituel le plus élevé et le pôle de connaissance et de lumière vers lequel on se tourne. Il lui confia son habit et sa bague au cours d'une cérémonie d'investiture officielle. A l'image de Rabaa El Adawiya qui fut reconnue par Ibn Arabi comme étant un Kôtb. En Islam soufi, le Kôtb dirige la prière et deux imams de premier rang puis deux de deuxième rang se placent derrière lui.
Aïcha vécut très longtemps, à sa mort, tous les notables hafsides suivirent son enterrement. Son prénom signifie «vie». Paradoxalement en brûlant sa tombe, les fidèles du wahhabisme saoudien lui redonnent la parole et la vie. Il urge de revisiter notre Nahdha hafside du 13e siècle avec ses hommes et ses femmes pour nous y ressourcer et échapper au monde des ténèbres financé par le pétrole.


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