Dans une longue interview accordée au journal français « Le Point », M. Moncef Marzouki, président de la République s'explique sur les islamistes, les femmes et la laïcité. Au sujet de l'hiver islamiste, M. Marzouki a affirmé que la France ne nous comprend pas : « la France est le pays le plus proche de la Tunisie et celui qui nous comprend le moins bien au sein de l'Europe ». Comment ? Selon le président de la République, la grille de lecture « religieuse » des Français les empêche de se rendre compte de ce qui se passe dans le monde arabe : « L'islam n'est pas l'islamisme et l'islamisme n'est pas le terrorisme ! Le spectre islamiste est extrêmement large. En Tunisie, nous avons affaire à sa partie centrale, l'équivalent du parti démocrate-chrétien en Italie. Cette partie centrale, nous l'avons démocratisée. Les islamistes, torturés par Ben Ali, ont appris aux côtés des démocrates, réprimés par le même régime. La Révolution arabe a poursuivi la démocratisation des partis islamistes. Quant aux salafistes, ils sont l'équivalent de l'extrême droite européenne. Ils sont dangereux et l'on n'est pas parvenu à les démocratiser. Mais il faut cesser les analyses simplistes et la confusion entre islamisme et salafisme. En Tunisie comme ailleurs, c'est la démocratie qui triomphe, et non l'islamisme ». M. Marzouki a ajouté qu'en France, les observateurs ne voient pas les choses de cette façon. Pour quelles raisons ? : « Je suis un homme de gauche, laïque et démocrate, j'ai toujours été fidèle à ces valeurs. Quand j'entends certaines personnes de la gauche française me considérer littéralement comme un traître, qui a vendu son âme au diable, parce que je travaille avec les islamistes, je me dis que, décidément, elles ne comprennent rien à rien. Nous avons démocratisé le mouvement islamiste, nous l'avons amené à respecter les droits de l'homme et ceux de la femme. Il faut comprendre que nous sommes dans une société plurielle qui ne supporte plus d'être gouvernée par un parti unique. Avec le parti islamiste Ennahdha, nous essayons de créer une nouvelle culture, celle du pluralisme. Nous sommes sur la bonne voie ». Les deux visions, la laïque et l'islamiste, sont-elles conciliables ? A cette question, M. Marzouki a indiqué que la société tunisienne veut la modernité, les femmes libérées, le tourisme et en même temps elle souhaite préserver et défendre une identité arabo-musulmane. Les relations entre la France et la Tunisie se sont détériorées après la chute de Ben Ali. L'élection de François Hollande ouvre-t-elle de nouvelles perspectives ? A ce sujet, le président de la République a affirmé que le comportement de la France pendant et après la Révolution ne l'a pas satisfait : « Dans le passé, la France a non seulement apporté son soutien à la dictature, mais elle a également maltraité les jeunes Tunisiens qui sont partis après le 14 janvier 2011. Avec l'élection de François Hollande, nos relations vont forcément s'améliorer. Je suis très heureux, car il y a l'espoir d'une coopération d'égal à égal. Je tiens à ce que la France reste notre premier partenaire en Europe. Je suis un francophone et un francophile. J'ai passé un tiers de ma vie en France ».