Kader A. Abderrahim est un chercheur associé à l'Institut de recherches internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste du Maghreb et de l'islamisme, et Maître de conférences à Sciences-po Paris. Il a livré au journal algérien d'expression française « Al Watan » ses impressions sur la situation en Tunisie, notamment après l'Assassinat de Chokri Belaïd. Il estime que depuis les dernières élections, le gouvernement dominé par les islamistes d'Ennahdha n'est pas parvenu à créer un lien avec la population. « C'est de la connivence avec le peuple que l'action politique tire sa légitimité » soutient-il tout en faisant remarquer qu'au lieu de cela, l'on a assisté, dans le pays, à un glissement progressif de l'action publique vers une nouvelle forme d'arbitraire. Le chercheur donne pour preuves les répressions de manifestations, les matraquages des protestataires, les attaques des réunions publiques de l'opposition, les exactions de groupes extrémistes,…actes restés sans suite judiciaire, donc impunis. M. Abderrahim pense que le gouvernement a failli à sa mission d'assurer la sécurité légitimement réclamée par tous les citoyens. Pour l'analyste, le rétablissement du lien avec le pays réel et la capacité des islamistes et de leurs alliés d'être les vrais acteurs du changement constituent la question centrale et sont au cœur même du problème. Evoquant les scenarii possibles pouvant compromettre le processus de transition démocratique en Tunisie, Kader Abderrahim pense que Ali Laarayedh aura à former un gouvernement qui devrait renforcer la transition en cours et surtout garantir une démocratisation réelle et non formelle. Le chercheur critique, par ailleurs une opposition sans programme, sans autre discours que celui de combattre les islamistes, sans réelle capacité de mobilisation. Seule l'UGTT incarne un contrepouvoir, dit-il, à condition qu'elle ne tombe pas dans le risque de « sortir de son rôle de défense des intérêts des travailleurs pour se jeter dans l'arène politique. Pour M. Abderrahim, rien ne sera fondamentalement remis en cause, tant que les acteurs de la transition accepteront l'idée du dialogue et de la confrontation d'idées. Tout en écartant l'éventualité d'un basculement de la classe politique tunisienne dans la violence, le chercheur déclare qu'il est de l'intérêt du nouveau gouvernement de se focaliser sur les questions sociales. A la question de savoir s'il y a une crainte que la Tunisie connaisse un scénario similaire à celui des années 1990 en Algérie, M. Abderrahim écarte cette éventualité mais met en garde contre une instabilité chronique, contre une déconnexion d'une partie de la société par rapport aux élites politiques : « La Tunisie pourrait dans ce cas devenir un pays sans avenir, car sans projet et la défiance pourrait se transformer en nihilisme social ». M. BELLAKHAL