Il s'agit de l'une des compagnies les plus anciennes en Tunisie. Avec l'émergence du courant capitalistique, Shell a été parmi les toutes premières entreprises de renommée mondiale à s'installer en Tunisie. En 1928, les premiers bureaux de Shell ont ouvert. Depuis, la société n'a cessé d'accumuler les sucés et les gains, bénéficiant d'un climat d'affaires stable et surtout d'une main d'œuvre qui a rapidement adopté les principes et les valeurs de Shell, contribuant ainsi à son expansion et dans l'agrandissement de son portefeuille ainsi que l'accroissement de son chiffre d'affaires d'une année à l'autre. Contre toute attente, Shell a décidé de quitter la Tunisie. L'information est parvenue quelques jours seulement après l'annonce de la commercialisation d'un nouveau produit, ce qui a engendré un sentiment à la limite de choc. Le retrait de cette société devenue anglo- hollandaise ne concerne pas seulement la Tunisie, mais 21 pays africains, soit tous les pays africains où Shell est active, à l'exception de la République Sud Africaine. L'information, parue le 1er avril dernier, semblait pour beaucoup comme un « poisson d'avril », notamment pour les 450 personnes qui constituent le personnel de Shell Tunisie. Mais le numéro 1 du géant pétrolier en Afrique, Xavier Le Maintier, aura tout dit. Shell quittera l'Afrique et se lancera dans d'autres activités sous d'autres cieux, apparemment en Asie. Les sociétés Shell en Tunisie font partie du Groupe des sociétés Royal Dutch Shell avec un effectif d'environ 100.000 salariés dans plus de 120 pays. Le groupe est actif dans l'exploration, la production de pétrole et de gaz, le raffinage, le transport et la vente de produits pétroliers, ainsi que dans la recherche et le développement d'énergies nouvelles. Shell Tunisie quant à elle est d'une valeur annoncée de près de 140 millions de dollars. Mais d'autres sources disent qu'il s'agit de beaucoup plus que cela. En Tunisie, Shell dispose de plus de sept compagnies. Il s'agit dans le volet « Downstream », en amont de la Société Shell Tunisie, spécialisée dans la distribution et du marketing des hydro carburants et des lubrifiants. Cette société gère 165 stations de services, dont deux sur l'autoroute. Son chiffre d'affaires avoisine les 165 millions de dinars. La Société Tunisienne des Lubrifiants de Radés réalise un chiffre d'affaires de près de 20 millions de dinars. Shell Tunisie gère 60% de ses actions, étant une joint venture avec une compagnie française. Butagaz Tunisie, est la troisième société gérée par Shell et est spécialisée en distribution du GPL. Sudgaz est une joint venture avec la société française Total. Shell dispose de 65% de ses actions. Bitum Tunisie est aussi une joint venture où Shell gère 50% des actions. Shell Tunisie dispose par ailleurs d'autres actions dans la SEPT, le dépôt de pétrole à la Skhira comme elle est aussi propriétaire de SEGPV, une filiale de vente en détail. Permis d'exploration de lubrifiants En aval, l'activité de Shell en Tunisie n'est pas moins intéressante. Elle dispose de pas moins de trois permis d'exploration de lubrifiants dans différentes parties sur le sol tunisien. Le dernier en date a été signé le 8 avril dernier. S'agissant d'un protocole avec le ministère de l'Industrie et de la Technologie et l'Entreprise Tunisienne d'Activités Pétrolières (ETAP) pour conduire des activités de prospection d'hydrocarbures en Tunisie. Aux termes de ce protocole d'accord, deux permis de prospection ont été attribués à Shell pour une durée de deux années avec une option d'extension d'une année supplémentaire dans les blocs « Raf Raf » et « Azmour », deux permis qui couvrent des superficies respectives de 2160 km² et 3416 km². Ceci sans oublier le permis « Mathouia » considéré le plus important dans le portefeuille de la société en Tunisie. Qu'est ce qui pousse une entreprise assez installée à renoncer à cet ancrage? Quelles retombées aura ce départ, surtout qu'il survient après le départ d'un autre géant, ExxonMobil, deux années auparavant, dans pratiquement les mêmes circonstances ? Finalement, quel sera le sort du personnel de la société qui a contribué à la croissance de la compagnie dans notre pays par conviction, et surtout par l'adoption des valeurs de la société croyant ainsi leur garantir « des valeurs à partager, des postes d'emploi pérennes avec la philosophie de la compagnie qui met en premier lieu des fondamentaux tels que l'honnêteté, l'éthique et le respect d'autrui, la confiance, la transparence, le travail d'équipe, au professionnalisme et à la fierté du travail bien fait » ? Une sortie en cachette ? Les options relatives au retrait de la société sont encore floues. Selon la direction de la société il s'agit « d'une étude des différentes options relatives à ses participations dans les activités avales que Shell possède dans 21 pays d'Afrique ». Et bien que « certains nombre d'options soient envisagées, le scénario privilégié est la vente de la plupart des entités concernées qui poursuivront leurs activités actuelles, sous réserve d'une issue favorable de négociations et de l'obtention des autorisations requises par la société et les autorités réglementaires », Shell admet que « les activités carburants, lubrifiants et raffinage de Shell en Afrique du Sud ne sont pas affectées par cette revue ». De plus, « les activités d'exploration et de production de la société, ses actifs liés au gaz naturel liquéfié et la plupart des activités commerciales internationales en Afrique sont également exclues de la revue ». Xavier Le Mintier, Vice Président de Shell Oil Products Africa, déclare « cette décision fait partie de notre stratégie consistant à recentrer nos activités Aval dans le monde sur un nombre restreint de marchés plus significatifs ». Tout ceci en admettant que « les entreprises visées par cette revue en Afrique sont rentables et exploitées de manière professionnelle. Elles occupent des positions fortes sur leurs marchés respectifs et offrent de bonnes perspectives de croissance aux propriétaires souhaitant investir dans celles-ci ». Pour Mark Williams, Directeur des Activités Aval de Royal Dutch Shell, « la revue s'inscrit dans le cadre de notre stratégie de consolider nos activités Aval à l'échelle mondiale et fait suite à un certain nombre de revues similaires et de désinvestissement dans d'autres régions du monde ». « Le programme de Shell de cession du secteur Aval, poursuit-il, allait se poursuivre par le retrait planifié de 15 % de nos capacités mondiales de raffinage et de 35% de nos réseaux stations services actuels, ce qui équivaut à environ 5% des stations de service de marque Shell à travers le monde ». Plus explicitement, la revue concerne les activités Aval de Shell (réseau de stations de service, carburants du secteur commercial, lubrifiants, gaz de pétrole liquéfié (GPL), bitume, aviation et marine) dans les 21 pays africains. C'est ce qui voudrait dire que la société va se désengager en vendant ses actions de ses différentes sociétés, et ainsi le retrait de sa marque « Brand » et ses produits de marque Shell. En Tunisie, à titre d'exemple, les lubrifiants de la marque seront commercialisés par des sociétés appelées « macro- distributeurs », ce qui voudrait dire tout un nouvel effort de marketing pour les gérants des 165 stations de service Shell à travers le pays. Pis encore, le groupe Shell retirera tous ses supports de gestion, méthodes, procédures, manuels, système, mais aussi la culture d'entreprise et son image et en général son know how développé certes par la société, mais aussi par son personnel et la totalité de ses employés qui ont contribué à forger une image de l'entreprise. Par ailleurs, il faudrait comprendre la différence entre l'opération de désengagement que Shell est en train de conduire et une opération de changement ordinaire d'actionnaires qui ne modifierait pas les fondements de l'entreprise et les implications sur les employés. Selon des sources fiables, le désengagement de Shell est causé en grande partie par les mauvais résultats enregistrés durant les dernières années à l'échelle internationale. Les résultats de Shell dans le monde ont été plus décevants pour la société que pour le reste de l'industrie. En effet, précise-t-on « la position de Shell par les « Oil Majors » est passée de numéro deux à numéro quatre » et à cause « des choix stratégiques des dirigeants de Shell ». Shell avait concentré ses activités sur le gaz, alors que son prix mondial a fortement baissé suite à la crise économique mondiale. En 2009, le prix du gaz n'a pas connu la même reprise du baril de pétrole, ce qui a négativement impacté la performance de Shell. D'une autre part, l'activité de raffinage du Groupe étant essentiellement concentrée en Europe, a fortement baissé, notamment en 2009 où les marges de raffinages ont subi les coercitions de la crise. Les pertes du Groupe ont été considérables et plus importantes que celles enregistrées par les concurrents, ont noté certains observateurs. C'est ce qui a été à l'origine, précise-t-on par ailleurs, de précipiter la décision du désengagement de l'Afrique. Mais quelque chose demeure intacte, Shell a toujours fait des gains en Tunisie. C'est le pays où le Groupe a toujours réalisé des résultats toujours supérieurs à ses objectifs fixés, c'est aussi le pays où Shell a bénéficié d'une augmentation de la marge bénéficiaire, et c'est le pays dont le personnel a remporté le trophée de 10 mille heures de travail sans le moindre accident de travail. Outre que les dirigeants de Shell entretiennent des relations qualifiées d' « excellentes » avec les autorités locales. Et le personnel dans tout cela ? Shell Tunisie emploie près de 400 personnes, dont 150 cadres. Selon un groupe de personnel rencontré « Shell attire, recrute et retient les meilleurs talents de la place à travers les engagements traduits dans sa politique. Le désengagement, signifie pour eux, une rupture unilatérale de ses engagements ». En fait, Shell adopte une politique salariale, la « Shell global pay policy », selon laquelle les employés reçoivent un salaire entre 67% et 120% des salaires appliqués par les sociétés les plus compétitives à Shell, mais qui peut atteindre le seuil normal au fil des années. Ainsi, « les employés adhèrent aux promesses de carrière et de promotion professionnelle et acceptent des salaires pouvant se situer à moins de 33% de ceux existants sur le marché ». Le désengagement de cette multinationale qui occupe la 9ème position du tableau des entreprises les plus attractives au monde sera synonyme d'une fin d'accès de ce personnel à des carrières à l'international que leurs futurs ex employeurs leur avaient promises. D'ailleurs, de nombreux employés en Tunisie avaient décroché des postes à l'échelle internationale sous forme soit d'expatriation ou de travail virtuel à partir de Tunis. Le nombre de ces employés est aux alentours de 25 par an, soit une enveloppe de près de 2 millions de dinars en devises par an. Les employés de Shell bénéficient aussi d'un plan de développement de carrière « IDP », mis à jour à chaque semestre, un plan qui gère la carrière de ces employés sur le moyen et le long termes dans une perspective de continuité d'exploitation. Tout ceci, engendre, selon le personnel de Shell Tunisie « un préjudice et un manquement de confiance » surtout que la majorité de ce personnel a refusé des offres d'emploi d'autres compagnies de renommée. A la lumière de ces données, pour le personnel de Shell Tunisie « Outsourcing » et « vente » ne différent pas ! Et accepter le principe d'indemnisation pour les uns et le refuser pour d'autres constitue un « traitement inégal». Du côté de Shell Tunisie, on précise que les droits des employés sont protégés par l'article 15, chapitre 3, du code de travail, qui stipule que «le contrat de travail subsiste entre le travailleur et l'employeur en cas de modification de la situation juridique de ce dernier, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds et mise en société ». Les employés de Shell Tunisie, ayant contribué à l'expansion de l'entreprise exigent aujourd'hui « un droit incontestable de bénéficier d'une indemnité de récompense équivalente à 7 salaires sur chaque année d'ancienneté». Les exigences du personnel trouvent leurs fondements dans la logique où « Shell leur a promis des postes d'emploi stables, outre des carrières à l'international », mais son désengagement a provoqué « une désillusion suite à la perte d'espoir d'ambitions de développement de carrière ». Actuellement, des négociations sont entreprises entre les dirigeants de Shell et le syndicat, mais une annonce de cession devra être faite d'ici la fin du mois de juin courant.