Malgré ce manque de maîtrise évident de l'organisation, la fête a laissé voir le positionnement de Nida Tounès et une revendication assumée de ce qu'on se plaît à appeler l'exception tunisienne. Décryptage... Carton plein pour le troisième anniversaire de Nida Tounès. Mardi 16 juin, la coupole d'El Menzah affichait complet. Une foule immense, qui traverse les âges et manifestement les couches sociales et les régions, a fait le déplacement et vibré avec la cadence des rythmes de musique. La commémoration de ce jeune parti a pris l'allure d'une véritable consécration après son double succès aux élections législatives et présidentielle. Malgré toutes les tensions qui ont secoué Nida, voire un risque d'implosion menaçant, malgré les accusations généreusement prodiguées par les uns aux autres, avant-hier, le parti semblait soudé. C'était un moment privilégié pour les nidaistes pour se retrouver entre eux, se congratuler, se rassurer que les choix faits étaient finalement les bons. De fait, l'anniversaire a été l'occasion pour les hauts dirigeants de chasser les mauvais esprits et vaincre, du moins publiquement, les sourdes rivalités. Sur une tribune encombrée, ils affichaient tous un large sourire. Mohsen Marzouk en bras de chemise, très à l'aise dans son nouveau costume de secrétaire général, a prononcé une allocution qui sonne comme un discours d'investiture. Il a tenu à tranquilliser tout le monde quant à la stabilité du parti qu'il dirige désormais, en profitant de l'occasion pour annoncer quelques mesures importantes; comme l'ouverture de tous les bureaux régionaux, la mise en place d'une section pour les députés de chaque région, et ce, avant la fin de l'été, a-t-il précisé. Il a réitéré son soutien au gouvernement Habib Essid, en invitant l'Etat à ouvrir les chantiers des grandes réformes dont le pays a besoin. Le secrétaire général a évoqué le volet sécuritaire ainsi que les relations de bon voisinage avec les deux pays limitrophes. Marque de fabrique Au-delà des festivités ou encore des jeux de rôle et cette volonté d'afficher une harmonie peut-être factice, des points méritent d'être relevés à l'occasion. Malgré le malaise occasionné par le grand déballage qui a suivi la campagne électorale et lors de la distribution des portefeuilles et postes, Nida Tounès a prouvé, encore une fois, qu'il est détenteur d'une marque de fabrique. Avant-hier, ceux qui sont venus affichaient fièrement leur identité politique associée à une inconditionnelle affiliation à la Tunisie, à son drapeau, à son hymne national. La valeur ajoutée? Nida Tounès représente pour eux un condensé de front politique et de culture populaire. L'habit traditionnel, parfois un accessoire, un bijou ou une chéchia, se sont déployés à volonté, le tout baignait dans une bonne ambiance, qui ne demande pas beaucoup de sous pour en profiter, une certaine légèreté, et la fierté affichée d'appartenir à quelque chose de grand, associé au pouvoir ainsi qu'à des repères culturellement solides. Derrière cela, un modernisme politique pourrait-il s'exprimer? La politique ne serait-elle plus idéologique mais davantage culturelle? Pour le moment, les deux partis parvenus à disposer d'une profondeur sociale et d'une personnalité politique claire sont bien Nida Tounès et Ennahdha, première et deuxième forces politiques de l'échiquier et culturellement très marquées. Le positionnement Ennahdha, s'il réussit sa conversion de l'islam politique vers un parti national de droite, parviendra à représenter la proportion conservatrice de la société tunisienne, existant partout ailleurs dans les plus grandes démocraties. En plus des partisans traditionnels qui alimentent son réservoir électoral, Ennahdha pourrait alors bénéficier, si ce n'est déjà fait, du ralliement d'une catégorie relevant de la petite et la grande bourgeoisies conservatrices. Ces familles qui fêtent leurs mariages dans les hôtels de luxe, mais sans mixité, celles qui vouent une considération inébranlable à nombre de fondamentaux et à une certaine éthique religieuse. Le parti Nida Tounès, lui, a su interpeller la personnalité tunisienne dans sa profondeur historique et sa diversité. Du coup, les démocrates et progressistes, ceux attachés à la tunisianité, ceux revendiquant un libéralisme politique et économique, les jeunes qui aspirent à plus de droits et de libertés, les femmes qui militent en faveur de plus d'égalité, l'élite intellectuelle qui ne souffre pas les clôtures de quelque nature qu'elles soient. Tous se reconnaissent en Nida tounès. Le mérite en revient à Béji Caïd Essebssi, le père fondateur, à travers la posture qu'il a adoptée, par tout ce qu'il représente en tant qu'acteur politique dont le parcours est associé à l'histoire moderne de la Tunisie, ainsi qu'à ses prises de positions et messages adressés à tous les Tunisiens à travers des discours prononcés sans répit, ces quatre dernières années. Malgré les débordements, in fine, fort désagréables qui ont parfois tourné aux coups de poings, malgré ce manque de maîtrise évident d'organisation, le troisième anniversaire a laissé voir le positionnement de Nida tounès et une revendication assumée de ce qu'on se plaît à appeler l'exception tunisienne. Tous les registres de musique avaient été interpellés, du Salhi au Mezoued, au Soufi, aux chansons engagées. Les femmes présentes portaient le voile ou pas, les tenues étaient sobres ou carrément de soirée, le marchand de thé et café ambulant zigzaguait entre les chaises en plastique qu'on déplaçait sans la moindre gêne pour se rapprocher de la tribune, quitte à pousser d'un coude l'un et marcher sur les pieds de l'autre, on tapait des mains, chantait et dansait. Ce n'est pas un concert au palais des sports mais un parti politique qui fête son anniversaire. Et pourtant, une partie de la Tunisie s'est sentie concernée et a renouvelé son plébiscite. C'est une lourde responsabilité pour une formation au pouvoir qui aspire à jouer un grand rôle national, mais qui demeure toujours empêtrée dans les petits problèmes du quotidien et les individualités.