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« Les Tunisiens ont sanctionné les discours haineux et sectaires »
Interview de Hatem M'rad
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 01 - 2000

La Presse donne la parole à Hatem M'rad, professeur de science politique et président-fondateur de l'Association tunisienne d'études politiques. Il donne un éclairage et des grilles d'analyse pour décoder ce nouveau et passionnant paysage politique tunisien. Interview
Quel jugement portez-vous sur les résultats des élections législatives du 26 octobre 2014 ?
On a là une belle alternance au pouvoir non seulement entre deux partis politiques opposés, mais entre deux cultures, entre islamistes et laïcs. Une première dans l'histoire politique arabe à mettre sur le crédit de la Tunisie. A ce jour, Nida Tounès obtient 85 sièges et Ennahdha 69 sièges, une différence de 16 sièges entre eux.
Je ne vous cache pas que les résultats d'Ennahdha m'ont surpris, surtout après tout ce qui s'est passé au pays durant la phase où ce parti était au pouvoir (islamisation rampante, violence, assassinat, terrorisme, insécurité, faillite économique, amateurisme politique, népotisme dans l'administration). Malgré tout cela, Ennahdha continue à avoir autant de sièges et reste un parti aussi fort dans l'échiquier politique qu'auparavant, même si elle a perdu 20 sièges par rapport à 2011.
Rester le deuxième grand parti du pays après un échec total et cuisant au pouvoir, ça c'est une performance et prouve que le parti mobilise encore, a une bonne implantation sociologique, voire est toujours un parti populaire au sens électoral du terme. Et cela est à lui seul une sorte de victoire, du moins pour Ennahdha. Et les dirigeants du parti, qui dissimulent bien leur joie, le savent bien, car ils s'attendaient au pire.
Mais, cela ne diminue en rien la percée de Nida Tounès, un parti créé juste depuis août 2012, qui arrive à être majoritaire en quelques mois d'existence, et qui est devenu un parti d'électeurs, c'est-à-dire un parti ayant des électeurs qui proviennent de tous les horizons socioprofessionnels, de plusieurs générations, de beaucoup de villes et régions, même si la route du Sud lui est aujourd'hui barrée par Ennahdha.
Le leadership de son leader Béji Caïd Essebsi y est pour quelque chose, un rassembleur qui a une bonne culture politique et surtout une bonne expérience d'homme d'Etat. Le vote utile a eu certainement de l'effet, il a permis d'éviter la dispersion et l'éclatement du paysage de 2011 en faveur de Nida Tounès. Il a permis de ressortir une démocratie équilibrée autour de deux grands partis, comme en Angleterre ou aux Etats-Unis.
Et les autres courants ?
Pour les courants qui montent, il faut signaler la montée spectaculaire de l'UPL de Slim Riahi qui obtient au premier coup d'essai électoral 16 sièges. L'essor de ce parti a été favorisé par Ennahdha, l'argent et le football. Il incarnera désormais une nouvelle tradition populiste au Parlement, le populisme de droite, avec des accointances islamistes. Même si on sait peu de choses sur les convictions politiques profondes de l'homme d'affaires à sa tête, tant il ne veut montrer pour l'instant ni ses forces ni ses faiblesses, préférant se préserver encore pour le combat de la présidentielle.
Al-Jebha Echâabia, le Front populaire, est un parti qui trouve aussi sa consécration. Ce Front recueille les fruits de son militantisme dans les régions. Il incarne la gauche contestataire anticapitaliste, soutenant exclusivement les déshérités. Une gauche peu soucieuse des contraintes du pouvoir ou des exigences de l'époque. Son discours séduit les laissés-pour-compte. Il a certainement pris les électeurs des partis de centre gauche (CPR, Al-Massar, Ettakatol), des partis centristes (Al-Joumhouri) et même des déçus d'Ennahdha. Ce qui explique sa progression, même s'il est en 4e position avec 15 sièges, devancé par l'UPL de Riahi.
Il y a aussi Afek Tounès qui progresse en passant de 4 à 8 sièges en trois ans. Ce parti libéral, élitiste, est apprécié par les libéraux puristes. C'est le pendant à droite d'Al-Massar à gauche, mais avec de la réussite en plus.
En un mot, pour les 5 premières positions, on a 4 nouveaux partis, Nida, UPL, Jebha et Afek Tounès et un seul vieux parti, Ennahdha. On peut vraiment dire qu'on a un nouveau paysage politique tant au niveau des rapports de force qu'au niveau du type même de partis.
Pour les courants qui reculent, le CPR a été pénalisé du fait des errements de son chef Marzouki à la présidence de la République. Il passe de 29 à 4 sièges, une baisse spectaculaire. Les Tunisiens ont sanctionné les partis portés par un discours haineux envers les Tunisiens et sectaires sur le plan identitaire, comme le CPR ou Wafa, lui-même dissident du CPR. Les destouriens et Rcdistes les plus marqués n'arrivent pas non plus à percer. Al Moubadra lui-même, dont le chef est un présidentiable, recule. Les Tunisiens semblent rejeter de la même manière l'islamisme, le Rcdisme et les haineux (CPR, Wafa...), qui sont renvoyés dos à dos et qui n'arrivent pas à représenter les acquis de la révolution.
Al-Joumhouri continue à décliner pour son inconstance politique et idéologique. Il fait désormais partie des partis à un seul siège, comme Ettakatol ou Tahalof. La politique se définit aussi par « une ligne de conduite », c'est-à-dire un enchaînement de prises de position, d'actions et de comportements. Une ligne qui fait défaut depuis plusieurs décennies à Al-Joumhouri, malgré son passé militant, comme le prouvent les changements successifs de nom du parti ou les replacements idéologiques, d'avant comme d'après la révolution. Au surplus, la perception d'opportunisme politique de son leader Chebbi est devenue indélébile auprès de l'opinion, qui fait davantage du papillonnage que de politique.
Al-Massar a disparu de l'échiquier politique à la grande déception de ses militants. Les personnalités du parti ont compté davantage sur leur popularité médiatique et charisme personnel que sur l'enracinement ou l'implantation du parti.
Il s'agit d'un parti de personnalités qui veulent bien incarner l'intégrité politique, « la politique des mains propres », bien que la politique n'aime que la férocité, la ruse, la boue et les transactions douteuses. Ce parti, non seulement a peu de moyens, mais il lui manque l'aspect tragique de la politique, même s'il a combattu vigoureusement l'islamisme depuis ces trois années à l'ANC. Il lui a manqué le travail de terrain, qui seul rend efficace un parti, comme l'ont fait le Front populaire et Hamma Hammami qui a bien compris la leçon en sillonnant le pays de long en large.
A plus, l'étiquette d'UPT semble l'avoir beaucoup plus desservie que servie et fausser son identification partisane pour une première élection démocratique législative. Al-Massar ne peut représenter l'Union pour la Tunisie à lui seul, car un parti ne peut incarner seul une union ou alliance, il a entretenu le flou auprès de ses électeurs qui ont manqué d'identification. C'est pourquoi Nida Tounès a préféré se présenter aux électeurs en son nom propre, et non à travers l'UPT.
Comment se présente le paysage politique issu des élections législatives du 26 octobre 2014 ?
Ce qui est sûr, c'est qu'on voit apparaître avec ces élections une recomposition utile du paysage politique et partisan, défavorable à l'émiettement politique de 2011 et favorable à la stabilisation et la clarté du jeu politique.
J'ai toujours pensé et écrit qu'il nous faut deux ou trois élections législatives et présidentielles pour stabiliser le système partisan tunisien. L'apparition de Nida Tounès a contribué grandement à la clarification du jeu politique. Nida a été perçu comme un parti démocrate, rassembleur et défenseur de l'identité tunisienne, propre à rétablir l'autorité de l'Etat, l'économie et la sécurité publique, et le plus capable d'écarter les islamistes.
Aujourd'hui, apparaissent d'abord deux grands partis qui ont alterné au pouvoir démocratiquement, un peu comme dans le système bipartisan britannique. Demain, se constituera sans doute deux pôles, deux alliances contraires conduites par deux partis phares : Nida et Ennahdha. L'alliance autour de Nida est nécessitée d'abord par le vote de confiance au Parlement et aussi par la durée au pouvoir.
Comment va s'exercer le pouvoir ?
Vous avez raison, c'est la grande question du jour. Mathématiquement et constitutionnellement, personne ne peut gouverner seul. Un gouvernement de coalition s'impose. Il s'imposait bien avant les élections.
Essebsi a toujours dit qu'il ne gouvernerait pas seul, mais avec ses alliés. Tout le problème est de savoir quels alliés après précisément les élections ? Nida a besoin de 24 sièges pour avoir la majorité absolue, nécessaire au vote de confiance au Parlement du programme du gouvernement, comme l'exige la Constitution. Il a plusieurs choix : il peut s'allier avec les partis laïques qui lui ressemblent ou lui sont plus ou moins proches (Afek Tounès, Front populaire, Al-Moubadra, qui ramassent tous les trois 25 sièges environ). Auquel cas se posera le problème du Front populaire, trop ancré à gauche, un peu trop contestataire et décalé idéologiquement du libéralisme réformiste affiché de Nida Tounès.
Nida Tounes peut encore s'allier avec la 3e force, l'Union Pour la Liberté (UPL) de l'homme d'affaires Slim Riahi, parti laïque, libéral, mais populiste et proche d'Ennahdha, qui a obtenu 16 sièges. Mais dans ce cas, Nida risque de faire fuir les autres partis laïques qui lui sont proches. Outre le fait qu'il donnera l'image d'un front un peu trop affairiste et mercantiliste au pouvoir.
Enfin le dernier choix, c'est de s'allier carrément avec Ennahdha. Là, c'est une alliance contre nature, une sorte de compromis historique entre deux idéologies opposées, qui risque de faire fuir non seulement ses alliés habituels, mais aussi ses propres électeurs. N'oublions pas que le CPR et Ettakatol, deux partis pourtant de centre-gauche, ont été sanctionnés par les électeurs, parce qu'ils se sont justement alliés avec Ennahdha dans la troïka. Mais que peut faire Nida si les autres partis laïques refusent le pouvoir ? Plutôt que d'abandonner le pouvoir acquis de haute lutte, il foncera peut-être en s'alliant avec le diable pour ne pas perdre le pouvoir, quitte à concevoir une formule originale d'association d'Ennahdha au pouvoir sans s'allier avec lui politiquement, quitte aussi à voir s'éloigner ses alliés naturels. La politique et les nécessités du pouvoir exigent des choix tragiques, qui ne sont pas toujours agréables ou satisfaisants à l'esprit.
Y a-t-il des corrections à faire en termes de mode de scrutin et de partage des pouvoirs ?
Je répondrai crûment. Le mode de scrutin sera changé le jour où les grandes forces politiques du moment décideraient qu'il n'est plus favorable à leurs intérêts partisans. Il en va souvent ainsi.
Rares sont les pays au monde où il y a un consensus entre les forces politiques, voire une tradition, sur le mode de scrutin, comme en Angleterre, aux Etats-Unis ou en Allemagne. Ce n'est pas une question de technique électorale ou un idéal de juriste, mais une exigence politique fondamentale. Car, n'oublions pas que la modification d'un mode de scrutin peut modifier de fond en comble la nature du système partisan du pays, et donc en fait le régime politique du pays lui-même.
Actuellement, ce mode de scrutin avantage tout le monde : les grands partis, Ennahdha et Nida Tounès, assis aux premières loges, en leur donnant une marge de manœuvre dans la constitution d'alliances et les autres partis, petits ou moyens, qui leur permet de survivre et d'exister proportionnellement à leurs forces limitées.
Est-ce que l'éclatement du paysage politique (par le mode de scrutin) ne risque pas de rendre l'exercice du pouvoir plus difficile?
Vous avez dans cette élection la preuve que le mode de scrutin proportionnel peut aussi, contrairement aux apparences, réduire l'éclatement des partis, puisqu'il a permis aussi la polarisation de la vie parlementaire autour de deux forces équilibrées. Donc, il n'est pas si mauvais que ça dans la phase politique actuelle.
Que peut peser un député unique qui représente une liste ou un parti ? N'est- ce pas du temps et de l'argent gaspillés ?
Il y a 8 partis qui ont juste un siège chacun en effet (ils étaient quand même 16 partis en 2011 à n'avoir obtenu qu'un siège à l'ANC). Il n'y aura pas de différence en ce cas entre un député indépendant et un député partisan. Leur impact sera très limité. Cela peut servir comme une bouffée d'oxygène pour certains partis, même si l'expérience de l'ANC prouve que les députés uniques de parti n'ont eu aucun effet sur la vie parlementaire. Ils sont dans le même cas que les partis ayant 7, 8 ou 9 députés qui n'ont pas de groupe parlementaire, mais ils auront moins de pesée politique qu'eux sur la vie parlementaire.
Le progrès humain ne se fait pas avec des consensus par le bas, mais par des décisions fortes. Si Bourguiba avait suivi le consensus, il n'aurait rien pu faire. Qu'en pensez-vous ?
Le consensus en Tunisie s'est fait moins par le bas que par le haut. C'est la classe politique qui a imposé le consensus pour l'apaisement général, comme le montre l'institutionnalisation du Dialogue national. C'est avec le consensus qu'on a pu avoir des « décisions fortes » comme vous dites ; comme l'achèvement de la Constitution, le retrait d'Ennahdha du gouvernement, le gouvernement neutre. Alors même que le peuple ne voulait pas au fond de compromis avec les islamistes, la classe politique, majorité et opposition, ont pu imposer ces décisions et faire preuve de raison.
Le gouvernement de technocrates a réussi parce qu'il n'avait de comptes à rendre à personne, ce ne sera jamais le cas d'un gouvernement partisan. Cela nous amène à dire que pour cette étape, difficile, faudra-t-il que le pays soit gouverné par un cabinet de compétences.Qu'en pensez-vous ?
En principe, le gouvernement de technocrates avait des comptes à rendre à la fois à l'ANC et au Dialogue national, mais l'échéance électorale et les nécessités de la compétition politique entre les partis ont fait détourner ces derniers du contrôle de ce gouvernement.
Faut-il que le pays soit gouverné par des technocrates ? C'est à Nida de le décider à partir des négociations qu'il va entamer avec ses alliés qui, eux, peuvent aussi avoir des préférences en la matière.
Je pense que les postes politiques doivent être occupés par les politiques (on ne peut pas mettre un technocrate en diplomatie ou même à l'Intérieur, à l'Education ou à la Justice) et les départements trop techniques par des technocrates (Economie, Tourisme, Equipements, Energie). N'oublions pas que le nouveau gouvernement aura à reconstruire le pays à tous les niveaux, politique, économique, administratif, régional, éducatif.
Les politiques doivent donner le ton et l'impulsion de ce mandat gouvernemental, surtout si le gouvernement est composé par une coalition nécessitant un jeu politique permanent, même à l'intérieur de la majorité. Puis passer la torche aux technocrates, plus compétents en matière de développement.
Nida Tounès est plus proche par son programme économique du parti Ennahdha et plus proche sur le plan culturel, sur les droits et libertés du Front populaire. Que faire dans ce dilemme ?
Le paradoxe d'Ennahdha, c'est que c'est un parti capitaliste, un capitalisme islamiste, qui a des électeurs pauvres et n'est pas ouvert aux autres catégories sociales. Tandis que Nida est plus ouvert à la diversité sociale. C'est un parti d'électeurs comme je disais. Idéologiquement, ils sont radicalement opposés.
Seule la politique peut les réunir dans cette phase de transition. Ennahdha était prêt à constituer un gouvernement d'union nationale après 2011. C'est Néjib Chebbi qui ne l'a pas voulu à l'époque. Mais il est vrai qu'il n'y avait pas Nida à ce moment-là. Mais Ennahdha, lui, est aujourd'hui demandeuse d'alliances ou de rapprochement avec Nida, comme le répète inlassablement Ghannouchi. Une alliance ou coalition avec Nida dissimulera en effet la défaite d'Ennahdha et le maintiendra indirectement aux affaires de l'Etat.
Que peut faire un gouvernement qui réunit Nida Tounès, Afek, Ennahdha et le Front populaire ? Peut-on entreprendre dans ce cas de figure des réformes importantes comme celles relatives à la Caisse de compensation, ou aux grands dossiers sensibles ?
C'est une question prématurée encore. On verra dans les prochains jours. On ne sait pas encore avec qui Nida va se coaliser, comment pourrait-on connaître le programme de la coalition que vous citez.
On dit que l'erreur est pédagogique. A-t-il fallu pour les Tunisiens de passer par ces trois années sombres pour comprendre certaines choses ?
Oui, il a fallu tout ça pour ça. Les Tunisiens auront tout connu ces trois dernières années, tout subi. Mais ils ont aussi agi pour changer l'ordre des choses. Oui, l'erreur est pédagogique, mais à condition qu'elle ne perdure pas et qu'elle ne se répète pas trop.
Les Tunisiens ont compris que l'islam politique est un hors sujet de la révolution tunisienne. Il a été à l'origine de tous les maux de ces trois années. Mais attention, l'islam politique mobilise encore les troupes. Les Tunisiens n'ont pas encore supprimé l'islam politique même s'ils l'ont vaincu par les urnes aujourd'hui.
Mais Ennahdha a un électorat potentiel. Les hésitants qui ont voté pour lui en 2011, et l'ont quitté aujourd'hui, peuvent toujours revenir et voter pour lui demain. L'alternance inverse peut encore se produire si Nida Tounès n'y prend pas garde en intégrant, associant, élargissant son gouvernement et son style de pouvoir.
Ennahdha est devenu un contre-modèle au pouvoir. Il incarne ce qu'il ne faudrait pas faire en période de transition : violence, milices, sectarisme, takfir, haine. Mais la lutte continue pour la démocratisation définitive d'Ennahdha. Attendons pour voir.


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