Vendredi 29 mai 2015 a eu lieu, à l'Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts Beït al-Hikma, la présentation de l'ouvrage « Abû Nasr al-Fârâbî » du professeur Amor Cherni, membre du Conseil scientifique de l'Académie, professeur à l'Université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand, et ancien professeur à l'Université de Tunis. L'ouvrage, composé de cinq volumes (Vol. I, al-Arâ' : Opinions des habitants de la cité vertueuse, texte, traduction critique et commentaire ; Vol. II, al-Mabâdi' : La politique civile ou principes des existants, texte, traduction et commentaire ; Vol. III, al-Milla : La religion, texte, traduction critique et commentaire ; Vol. IV, al-Ihsâ': Le recensement des sciences, texte, traduction critique et commentaire ; Vol. V : La cité et ses opinions, politique et métaphysique chez Abû Nasr al-Fârâbî), expose la philosophie politique de celui qui fut surnommé le «Second Maître» (le «Premier Maître» n'étant autre qu'Aristote). Le professeur Cherni rappelle, en effet, l'influence qu'a eue la pensée du philosophe grec Aristote sur Al-Farabi. Ce dernier témoin d'un contexte troublé, celui du rapport entre l'islam et les successeurs politiques du prophète Mohamed, assiste au morcellement du Califat central en émirats et en Etats qui se veulent indépendants. Les détails de la science de la religion et du droit musulman (Fiqh) structurent les détails et les discussions qui se développent au sein de la vie intellectuelle en pays d'islam. Al-Farabi s'intéresse à la question du régime politique et s'intéresse particulièrement aux textes de Platon et d'Aristote. L'originalité de la philosophie d'Al-Farabi, «un pôle de la philosophie islamique» selon le professeur Hichem Djaït, président de Beït al-Hikma, tient en très grande partie à l'effort qu'il a manifesté pour introduire le politique et la vie collective dans la pensée philosophique. Et bien que Farabi ait lu et commenté Aristote, c'est surtout à Platon qu'il a consacré la plus grande partie de son œuvre de commentateur. Ainsi, la philosophie politique platonicienne aura une importance fondamentale dans la constitution de sa pensée propre. De la République et de l'œuvre platonicienne en général, Al-Farabi retiendra avant tout la figure de Socrate, qui sera un modèle permanent de son œuvre. Ainsi, selon Al-Farabi, le meilleur régime politique est celui dans lequel les âmes de ses habitants sont aussi saines que possibles. Le gouvernant vertueux «détermine» aux «habitants» de sa Cité les «opinions» qu'ils doivent avoir et les actions qu'ils doivent faire. En s'y conformant, ces habitants ne peuvent que devenir «vertueux». Cette «Cité vertueuse» est, selon Al-Farabi, le meilleur garant de la liberté et de la démocratie. Le professeur Cherni n'a pas manqué de faire valoir, en sus, l'avant-gardisme d'Al-Farabi à qui l'on doit la première esquisse d'une philosophie politique dans la tradition islamique. L'objectif de d'Al-Farabi étant de s'inscrire dans une longue tradition de pensée, en introduisant les notions de cosmologie, de métaphysique et d'ontologie, et en insistant sur la nécessité d'apprendre la logique, qui est l'outil nécessaire à toute recherche scientifique, tout en adaptant celle-ci au cadre islamique et en apportant sa pensée propre. Ne peut-on pas avancer qu'Al-Farabi est le précurseur des modernistes de notre temps qui tentent de démontrer que le discours scientifique et philosophique n'est pas incompatible avec la religion musulmane.