Par Brahim OUESLATI Après chaque attentat terroriste suivi de mesures exceptionnelles, une question revient comme une litanie, la sécurité est-elle la négation des libertés ? Tout comme en Europe, surgit le débat sur l'Islam et son opposition à la démocratie. La proclamation par le président de la République de l'état d'urgence pour un mois qui pourrait être renouvelé si la situation l'exigeait, si elle a été favorablement accueillie par la plupart des Tunisiens, elle n'en a pas moins suscité des critiques dans les rangs de certains partis politiques et chez les défenseurs des droits de l'Homme et des libertés. Tant il est vrai que cette mesure accorde des pouvoirs d'exception à la police et à l'armée. Les explications de Béji Caïd Essebsi et ses assurances que les libertés ne seraient pas affectées ne semblent pas avoir apaisé les craintes plus au moins justifiées en ces moments difficiles. Débat stérile et binaire Il faut reconnaître que l'équation est difficile et que ce genre de débat est à la fois stérile et binaire. Il est truffé de beaucoup d'hypocrisie et de mauvaise foi. La peur du retour des anciennes pratiques avec les multiples manquements aux droits de l'Homme et le bâillonnement de la presse, ne saurait se justifier dans une démocratie naissante qui s'est assurée de garde-fous contre le retour de la machine répressive. Elle ne saurait, non plus, justifier l'attitude de certaines gens qui, au moment où le sang a coulé à Sousse, continuent à palabrer brandissant l'étendard des droits de l'Homme contre la sécurité du pays. «Assez de surenchères, de palabres et de tiraillements politiques», écrivait Saïd Ben Kraiem dans l'éditorial de La Presse du dimanche 05 juillet. A la suite de l'attentat du 11 septembre 2001, des mesures d'une rare exception ont été prises par l'administration américaine de Georges W. Bush «autorisant» toutes les exactions et toutes les atteintes contre les libertés et les droits de l'Homme. Entre le droit à la vie et le droit à la liberté, il n'y a pas photo. Tout le pays est mis à l'épreuve et les derniers attentats du Bardo et de Sousse ont mis à nu la fragilité du front intérieur et la vulnérabilité de l'Etat face aux menaces terroristes. Ce qui nous impose, à nous tous, beaucoup d'efforts et de sacrifices. Quand la sécurité du pays et sa stabilité sont en jeu et que des vies humaines tombent à chaque coup, faudrait-il s'offusquer des «interventions musclées» pour arrêter un terroriste, démanteler un réseau de crime organisé ou bombarder des repaires où se cachent des jihadsites qui ont pris les armes contre l'Etat ? Guerre non conventionnelle La guerre contre le terrorisme est une guerre non conventionnelle. Et nul pays, quelles que soient ses capacités militaires et logistiques et quels que soient l'efficacité de ses services de renseignements et son degré de respect de la démocratie, ne saurait prétendre le combattre avec des moyens conventionnels. Se draper de valeurs démocratiques et des principes sacro-saints des droits de l'Homme tout en combattant cet hydre serait déroger au principe même du premier des droits humains, celui du droit à la vie. Car si la liberté a un prix, la vie des personnes n'en a pas parce que tout simplement elle ne saurait être troquée contre aucun prix. La guerre contre le terrorisme a permis d'introduire «des lois d'exception» dans la plupart des pays européens, comme le contrôle systématique des identités et le fichage des individus. «Les gens ont fini par accepter d'être tracés, contrôlés, sous prétexte qu'ils n'ont rien à cacher». C'est l'ère de soupçons. Et si les mesures d'exceptions ne doivent pas restreindre la liberté de la presse, les médias, à leur tour, doivent faire preuve de beaucoup plus de discernement dans le traitement des informations et dans l'analyse des événements. L'avalanche des commentaires et la course à l'exclusivité et au buzz sont contre-productifs en état de guerre. Les «experts autoproclamés», et ils sont légion, qui investissent les plateaux pour débiter des sornettes et autres animateurs et journaleux qui rapportent des faits sans se soucier de leur authenticité ou qui donnent le micro au premier venu pour s'exprimer sur un événement d'une extrême gravité, pourraient brouiller des pistes. En de pareils moments, il faut surtout éviter de tomber dans la complicité et la connivence ou encore dans l'apologie du terrorisme. Le contrôle d'Internet et des réseaux sociaux essentiellement, devenus des moyens d'embrigadement, d'échanges et de transmission de données entre les groupes terroristes doivent absolument être mis sous contrôle, mais de manière abusive en le généralisant à tous les citoyens. Plutôt en conformité avec la loi. La surveillance des internautes s'est développée dans tous les pays occidentaux à la suite de l'attentat du 11 septembre 2011. Elle a permis de prévenir et d'éviter plusieurs attaques et de démanteler plusieurs réseaux. La Tunisie d'après le 14 janvier 2011 a mis beaucoup de temps pour s'y mettre. Alors qu'un pays comme la France est considérée comme «la championne dans la surveillance des télécommunications». La loi relative à la lutte contre le terrorisme de 2006 présentée par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, a élargi «l'obligation de conservation des données de trafic aux cybercafés», autorisant les services antiterroristes à y accéder «en dehors de tout contrôle de l'autorité judiciaire, après avis d'une personnalité qualifiée placée auprès du ministre de l'Intérieur». Des mesures douloureuses seront, certainement, prises dans ce sens par les autorités tunisiennes, pour limiter certaines libertés, mais elles ne doivent en aucun cas entraver, de manière systématique, l'exercice de ces libertés. «Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux», disait Benjamin Franklin. Difficile équation.