Un genre lyrico-musical dont les premiers bourgeons se sont éclos à Kairouan et dont les fleurs se sont épanouies en Andalousie pour se répandre plus tard au Machreq Le public a été encore une fois séduit par «mouachah», le concert tout à fait original de «Maqamat», la jeune et dynamique association des amis de la musique. C'était le week-end dernier au Palais Ennejma Ezzahra à Sidi Bous Saïd sous la direction du bouillonnant maestro et musicologue, le Dr Naoufal Ben Aïssa, qui épata l'assistance par ses présentations où la pédagogie se mêlait au militantisme. Après un premier succès, mi-mai dernier au Théâtre municipal de Tunis, «mouachah» a donc eu droit à une seconde représentation avec, à la place de Asma Otmani comme chanteuse, la non moins talentueuse Houda Ben Chaâbane qui a excellé dans l'interprétation de «mahtiyeli» de Souad Mohamed. Nizar Boushih est, quant à lui, resté à l'affiche et convaincu comme d'habitude. Très à l'aise aussi bien au micro qu'avec son archet pour renforcer la troupe en tant que virtuose du violoncelle, le maestro Ben Aïssa a donc retenu l'attention du public grâce à ses interventions non dépourvues d'humour à chaque fois, entre deux morceaux. L'universitaire et musicien a ainsi expliqué, en se basant sur plusieurs recherches sérieuses, que le «mouachah», ce genre lyrico-musical, n'est en fait pas né en Andalousie musulmane il y a un peu plus de dix siècles comme le veut la tradition mais à Kairouan en Tunisie. C'est, a-t-il précisé, le célèbre poète kairouanais Al Houssri qui a été le précurseur de ce genre grâce à son fameux poème « Ya leylou'sabbou...» (Ô nuit de la passion...) qui a permis à la poésie, l'art arabe majeur, d'emprunter de nouvelles voies conduisant à la conception d'une nouvelle structure de rythme préparant le texte à sa mise en musique. En émigrant en Andalousie après la chute de Kairouan au début du Xe siècle entre les mains des tribus bédouines des Banou Hilal, Al Houssri a ainsi pu amorcer cette mutation qui a, depuis, lancé sur les devants de la scène musicale arabe le mouachah. Une diffusion rapide qui n'épargna aucune région, jusqu'à ce qu'elle atterrisse au Machreq (l'Orient arabe). Ce poème qui a été calqué par les plus grands poètes tout au long de l'histoire et jusqu'à nos jours confère la légitime paternité de ce genre à Kairouan en tant que capitale des sciences, des lettres et des arts et à la Tunisie, pays qui a su créer, plus tard, une formidable synthèse entre le legs andalou et son propre patrimoine. Tarnane, Saâda, Zghonda et Rahabani Pour la plupart des diplômés du conservatoire national ou des conservatoires privés, les membres permanents de la troupe, musiciens et chœurs, exercent leur art en tant qu'amateurs et se dévouent à fond pour la perfection. Haïfa Halouani, pour ne citer qu'elle, s'est ainsi distinguée à la cithare orientale (qanoun) lors de l'interprétation de certains passages en soliste. Etudiante en terminale, à l'Ecole supérieure d' architecture, elle est également diplômée en musique arabe et a appris à jouer sur son instrument assez complexe grâce à plusieurs maîtres tunisiens et irakiens. Elle vient de remporter le premier prix pour cet instrument lors d'un concours présidé par un jury international. Idem pour Farès Sanchou, le petit-fils du grand monument de la musique tunisienne feu Salah El Mehdi, virtuose du nay (flûte orientale) d'ailleurs comme son aïeul. Ils ont été rejoints pour l'occasion par de jeunes talents professionnels pour l'interprétation de certains morceaux qui nécessitaient du renfort. Le répertoire a, quant à lui, voulu donner une idée assez claire sur l'étendue du genre en alternant anciens, moins anciens et contemporains morceaux, dont, pour ces derniers, des œuvres composées tour à tour par le cheikh Khémaïs Ternane, Mohamed Saâda puis Fethi Zghonda. Cela sans oublier certaines œuvres de Machrequis, tels que les Rahabani. Même les costumes, grâce à un raffinement visible, participaient à la valorisation des prestations de l'ensemble. En présentant l'association qu'elle préside et au sein de laquelle elle fait partie de la chorale, Boutheina Allani Halouani a insisté, en prenant la parole en prélude au spectacle, sur l'engagement de son équipe mélomale pour la musique de qualité. La responsable n'a pas manqué aussi de rendre hommage au Dr Ben Aïssa pour son précieux soutien et de rappeler que la participation du grand maestro Zied Gharsa et de la cantatrice Sonia M'barek à plusieurs représentations de l'association, malgré le jeune âge de celle-ci (fondée en 2012), a eu un impact positif sur son développement. Association qui sans l'apport de quelques sponsors n'aurait pas pu percer. Notons enfin que l'association, qui s'est également distinguée l'année dernière par un spectacle en hommage à la mémoire du grand Salah El Mehdi, se prépare déjà à présenter «Mouachah» à Kairounan, où les prémices du genre ont germé.