Mohamed Maghraoui vient de terminer un feuilleton réalisé par Rami Hanna et tourné au Liban. Entre deux fictions, il nous a accordé cet entretien. Comment évaluez-vous la production audiovisuelle ramadanesque sur nos chaînes ? Honnêtement je n'ai pas suivi beaucoup de feuilletons mais j'ai pu tout de même visionner quelques épisodes. D'après ce que j'ai pu voir, je peux dire qu'il y a un nouveau souffle dans l'approche esthétique; cependant côté mise en scène et réalisation (et c'est la chose la plus importante) on est encore loin du compte. Même s'il y a un effort dans l'écriture, il y a toujours un maillon qui manque entre cette écriture et la mise en image. Il faut que les réalisateurs s'investissent plus dans le professionnalisme que dans leur ego parfois surdimensionné. Je persiste à croire qu'un travail réussi est un travail d'équipe et pas un travail d'un maître enfermé dans sa tour avec des exécutants à ses ordres. Est-ce cet ego hypertrophié qui empêche nos réalisateurs d'évoluer ? Je ne dis pas que tous les réalisateurs le sont! Mais certains d'entre eux ont cette prétention. L'ego c'est humain mais le problème c'est que certains réalisateurs ne se prêtent pas à l'intelligence de l'écoute de la part de leurs collaborateurs. Après, il peut filtrer... Etes-vous pour ce genre de feuilleton qui revient tous les ans comme une série ramadanesque avec le même titre et plus ou moins les mêmes personnages...? Ce genre de choses peut arriver sur toutes les chaînes comme Plus belle la vie pour ne citer que ce feuilleton ou les séries américaines. Mais ailleurs il peuvent réussir ces séries parce qu'il ont plusieurs scénaristes et réalisateurs sur la même série. Ce sont carrément des équipes de créateurs qui se relaient sur l'œuvre c'est pour cela que cette dernière ne s'essouffle jamais. L'erreur que les Tunisiens sont en train de faire c'est qu'ils reviennent tous les ans avec le même feuilleton, le même réalisateur et le même scénariste et ça finit par ronronner. Avec toute la bonne volonté du monde il est impossible d'injecter du génie à chaque fois et de surpendre le spectateur. Là aussi, le rôle et la culture professionnelle du producteur sont très importants. Il faut que les professionnels comprennent que ce métier ne supporte pas le copinage et que lorsqu'on fait un casting c'est la force du rôle qui doit primer sur tout le reste. Votre actualité côté feuilletons ? Je viens de terminer un feuilleton avec Rami Hanna. Ghadan Naltaki qui traite des immigrés syriens. Je fais un feuilleton par an et j'ai la chance de travailler avec des réalisateurs de renom dans le monde arabe. Votre nom est souvent associé à Hatem Ali, le réalisateur de Omar? Oui. Cette année on allait travailler sur le feuilleton Elarrab mais on a eu une contrainte temporelle. Selon vous, quel est le secret de la réussite des feuilletons arabes, et pourquoi font-ils appel à vous trop souvent ? Ils ont compris qu'i faut créer des feuilletons très proches du travail cinématographique. Ces réalisateurs ont vu mon travail sur le plan cinématographique, je ne les connaissais même pas auparavant. Ces dernières années, ce sont des cinéastes qui se sont mis à faire des feuilletons comme Sejn ennisaa, réalisé par Kemla Boudhekra qui a fait du cinéma toute sa vie. Chaque épisode de 38 minutes est travaillé en tant que film à part entière. C'est ça le seul souci ! Les Tunisiens peuvent-ils atteindre ce niveau ? On peut y arriver, je ne suis pas pessimiste, on a des professionnels sur qui on peut construire quelque chose. Peut-on rêver un jour exporter nos feuilletons ? A mon sens, nous avons un problème avec le dialecte tunisien peu compréhensible. Par contre, nos feuillions s'exportent lorsqu'ils sont en arabe littéraire, surtout que les acteurs tunisiens ont une excellente prononciation de cette langue contrairement à d'autres Maghrébins. Autre volet à exploiter c'est le mélange entre des acteurs de différentes nationalités tout en ayant un texte assez intelligent pour marier le tout avec succès. Les producteurs tunisiens sont également appelés à s'aventurer en sortant de leur coquille. Aujourd'hui, c'est tout à fait normal qu'un producteur avance de ses propres fonds. Nous sommes les seuls producteurs qui ne travaillent que lorsqu'ils ont une subvention. C'est ce qui les Syriens ont fait avec un certain Hamchou qui a investi ses propres fonds dans un excellent produit avec lequel il a réussi à convaincre les télévisons arabes dont celles des pays du Golfe. Et cela a été le début du boom du feuilleton syrien. Côté cinéma c'est quoi selon vous le problème du film tunisien? En tant que technicien de l'image, mon rêve c'est de travailler dans un film dont le succès ne vient pas seulement du côté technique. Je veux que les gens disent : c'est un très bon film en parlant de tout ; de l'écriture de la réalisation et du souffle du film. Est-ce à dire qu'on a un problème de réalisateurs ? Non on a un problème de moyens. Lorsqu'un réalisateur se trouve sous le joug d'un producteur qui réduit les périodes de tournage tout d'un coup et qui le bouscule en quelque sorte, c'est tout à fait normal que le film soit défaillant. Les producteurs doivent aussi miser sur des réalisateurs en qui ils ont confiance et qu'ils peuvent exporter ailleurs et pour lesquels ils peuvent se battre. Les réalisateurs de leur côté doivent faire un cinéma qui nous ressemble et pas un cinéma étranger à qui on veut ressembler. Cela dit, il y a de bonnes choses qui sont en train de se faire comme le film de Sonia Chemkhi, Aziz Rouhou, je trouve que c'est une expérience très intéressante. Votre conseil pour les jeunes qui font ce métier ? Prenez votre temps et ne grillez pas les étapes comme l'assistanat et le cadrage ! Prenez le temps de mûrir ! C'est aussi un métier où la dernière chose à laquelle il faut penser c'est l'argent. C'est un travail de bijoutier qui nécessite un énorme savoir-faire et où il faut acquerir le maximum d'expérience.