Les sorties de Leïla Hjaïej sont rares. Et comme tout ce qui ne court pas les rues, elles n'en deviennent que plus «précieuses», donc recherchées par les puristes. Aussi cette artiste a-t-elle attiré, samedi dernier, pour son concert donné, sans tapage ni cor ni cris, dans le cadre du Festival de Hammamet, un excellent public fait de mélomanes en quête de musique de qualité et de joyaux du répertoire arabe, interprétés par une voix dont la valeur est depuis longtemps établie. On reconnaissait d'ailleurs, ici et là, outre le ministre de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, un fin connaisseur de musique, des visages marquants de la scène culturelle et artistique. Leïla Hjaïej ne les a pas déçus. Loin de là… Alternant les airs orientaux et ceux tunisiens, dont quelques-uns de son propre répertoire, avec une égale sensibilité, la cantatrice a communiqué à son auditoire son plaisir – son bonheur même – de chanter, à tel point qu'on a senti une sorte de communion s'installer entre les deux, exprimée, tantôt par une écoute extasiée, tantôt par une participation active à l'interprétation, nombreux ayant été ceux qui ont fait la chorale dans des morceaux de Ali Riahi, Hédi Jouini ou Mohamed Jamoussi. L'accueil du public a été le même pour les propres chansons de l'artiste, dont la belle Namet ouyoun ennass, écrite par notre ami Ali Ouertani et composée par Abdelhakim Belgaïed, et l'inédite Al andalib, une œuvre du duo Adam Fathi-Lotfi Bouchnaq, conçue dans le tarabi, le genre qu'affectionne le plus Leïla Hjaïej qui refuse de se constituer un répertoire anodin ou médiocre. C'est pourquoi elle prend son temps afin de dénicher les chansons qui retiennent par la qualité et le tonus et qui mettent en valeur les dimensions et les spécificités de sa voix chaude, mélodieuse, précise et forte sans être agressive. C'est précisément ce qui s'impose à l'ouïe quand elle chante du Abdelwaheb, du Kamel Ettawil ou du Sayed Dérouiche ; ce dont elle ne nous a pas privés, samedi dernier. En effet, qui ne s'est pas extasié en l'écoutant interpréter le dawr éternel de ce dernier, ana hawit (J'ai aimé)? Quelle rigueur, quelle aisance et quelles envolées ! Du tarab pur et un plaisir sans tawche. On se demande, à ce propos, s'il ne serait pas opportun que Bouchnaq lui cède un ou deux des quinze dawr qu'il a composés et dont la majorité n'a pas été enregistrée. Une chanteuse remettant dans l'air du temps un genre qu'on ne fait plus et qui, de surcroît, est évité depuis des décennies par les voix féminines, ne serait pas une si mauvaise perspective, surtout si cette chanteuse s'appelle Leïla Hjaïej. Avec son charisme irradiant, sa classe, sa présence sur scène, sa voix magnifique, son talent réel et sa technique qui ne cesse de s'affirmer, la disciple de Ali Sriti est faite pour le grand art. Elle l'a encore une fois prouvé, dans le coquet théâtre de plein air du Centre culturel de Hamammet. Et peu importe que son récital manquât d'un brin de fantaisie et d'une répartition plus judicieuse des airs choisis. Sa performance vocale et son charme conquérant ont tout couvert. C'est l'essentiel.