Salle comble à «Quobbet Ennhass», jeudi soir, à l'occasion du récital de Leïla Hjaïej. Un record d'affluence peut-être, pour l'édition 2010 du Festival de la Médina de La Manouba qui se taille, décidément, une place de choix parmi les manifestations artistiques du mois de Ramadan. Gros auditoire, mais, malheureusement, quelques entorses à l'éthique du concert. Le public, tout d'abord, n'arrêtait pas d'arriver par «grappes bruyantes» pratiquement une demi-heure après le début du programme. Le «manège» n'a, du reste, pas cessé, la soirée durant, avec des retardataires de «dernière minute», des spectateurs qui ne s'embarrassaient pas de traverser les rangées, de quitter et de revenir, de faire quelques pas même, alors que, chose bizarre, la musique et le chant proposés incitaient plutôt au calme. Une bien mauvaise habitude s'installe un peu partout dans nos théâtres. Les horaires ne sont pas toujours respectés, les parterres sont un peu trop fébriles, les caméras de télévision occupent beaucoup d'espace (privilèges abusifs), on va jusqu'à se faire accompagner par des enfants, imaginons le boucan. Passe évidemment sur la saison présente, mais, à l'avenir, les organisateurs, et particulièrement ceux des festivals des médinas (censés opter pour le bel art), devraient songer sérieusement à remettre de l'ordre dans tout cela. La créativité en plus Très heureux, au demeurant, du succès public de Leïla Hjaïej, ces voix classiques, qui n'ont que le souci de la qualité, qui ne se font pas impressionner par les vogues et les modes, méritent amplement de l'audience. Et l'on s'en réjouit d'autant plus que s'y ajoute, comme ce fut le cas jeudi, la réussite artistique pure, c'est-à-dire, outre le plaisir du beau timbre, le soin du conducteur, la justesse et l'inspiration des chants. Quasiment pas «d'anicroches», même quand il s'est agi de morceaux ardus tels que El awila, chef-d'œuvre complexe, bâti sur le modèle du mawel par le grandissime Zakaria Ahmed. Ou encore, du même génial compositeur, le dawr envoûtant Imta el hawa, que Leïla Hjaïej a restitué avec force développements et nuances subtiles, et beaucoup d'âme : n'est-ce pas ce qui fait le charme et la pérennité des chansons de l'âge d'or ? On tique souvent, ces dernières années, sur les reprises du patrimoine. N'en faisons pas, pour autant, un reproche systématique. Il y a des exceptions qui valent vraiment la peine de déroger à la règle. Surtout lorsque l'interprète sait comment habiller l'usuel d'accents nouveaux. Leïla Hjaïej fait partie de ces (rares il est vrai) exceptions. Cela tient sans doute à sa longue expérience du genre, mais il y a aussi, chez elle, un sens certain de la créativité, les chanteurs formés à bonne école réécrivent souvent ce qu'ils chantent. Toute la différence est là. Maintenant, Leïla Hjaïej, de 2009 et 2010, n'est plus qu'interprète de patrimoine ancien, elle se dote petit à petit d'un répertoire personnel. Au début, l'essai «flottait» un peu, cela arrive toujours quand on chante ses chansons pour la première fois. Là, depuis le dernier récital de «Hammamet» et surtout depuis jeudi soir à «Quobbet Ennhas», la «touche» a bel et bien eu lieu, avec Mitnahida, mélodie d'une piquante nostalgie, de la veine des taqtouqas des années 30 (de Samir Agrebi) et El Andalib (Adem Fathi-Lotfi Bouchnaq) qui évoque à chaque fin de couplet (et avec retour au refrain principal) des airs célèbres de Abdelhalim Hafedh. Notre opinion? Leïla Hjaïej a bien fait de les adjoindre à son répertoire. Mieux : elle les a interprétées avec sensibilité, surtout avec la conviction qui s'impose en la circonstance. Il faut avoir confiance dans ses créations nouvelles et le montrer : c'est cela seulement qui les inscrit dans les mémoires, qui dessine les personnalités et les labels. C'était bon signe pour la suite du parcours de Leïla Hjaïej. Compliments.