Le ministre des Finances est gentil. Mais la gentillesse n'est pas forcément un atout en politique. Ici plus qu'ailleurs, les humeurs de l'opinion dépendent des besoins sécuritaires et alimentaires, de la confiance en l'avenir aussi. Dans une récente interview à nos confrères de Akher Khabar, Slim Chaker s'est voulu franc et direct. Et il n'y est guère allé du dos de la cuillère. A l'entendre, les finances vont mal. On sera obligé de contracter davantage de prêts extérieurs. A défaut d'un taux de croissance de trois à quatre pour cent à même de renflouer les caisses à brève échéance, des coupes budgétaires seront inévitables. Les subventions, les salaires, les pensions, tout y passerait. La loi de finances complémentaire, votée la semaine dernière, annonce déjà la couleur. Le budget est ramené à la baisse, faute de rentrées en devises, le secteur touristique étant sinistré. L'essentiel des ressources est alloué à la police et à l'armée. Guerre antiterroriste oblige. Le recours au rouleau compresseur des emprunts extérieurs est inévitable. Avec toutes les servitudes que cela entraîne. Les payeurs sont exigeants. Ils donnent d'une main et étranglent de l'autre. Le tout sous le label de la pensée unique et du traitement de choc monétariste. Le contre-modèle grec le démontre. Tragiquement. Le chef du gouvernement n'a pas de recette miracle, lui aussi. Il sèche, malgré ses grandes promesses. Dans son discours d'investiture en février, il avait promis un plan quinquennal et de grands projets structurants, suivis d'un grand congrès des pays donateurs et des institutions financières internationales. On attend toujours, n'en fut-ce que l'annonce. Il y a deux semaines, réuni avec le quatuor de la majorité gouvernementale, Habib Essid n'en a guère imposé. Son gros pavé de près de 250 pages, intitulé programme d'orientation générale, n'a pas tellement séduit les partis gouvernants. Mohsen Marzouk, secrétaire général de Nida Tounès, parti majoritaire qui a désigné Habib Essid aux affaires, était des plus réticents. Alors Slim Chaker en semble réduit à suivre les directives et naviguer à vue. Il avait bien annoncé une réforme imminente de la douane et de la fiscalité. La loi de finances n'en pipe pas le traître mot. On attendra la loi de finances 2016. Le temps passe vite et les réformes se font désirer. Les attentats terroristes du Bardo et de Sousse ont mis à bas la saison touristique. La baisse vertigineuse des rentrées en devises intervient sur fond d'investissements frileux et d'exportations en panne. Slim Chaker est jovial. Il est toujours impeccablement habillé. Mais l'élégance et la jovialité n'ont aucune valeur, en politique économique du moins. Et les affaires sont loin d'être une rencontre mondaine ou un défilé de mode. Il semble que de tous les défis, il ne lui reste qu'un seul plausible et — par la force des choses — réalisable : l'austérité. L'austérité avec son cortège de servitudes, de privations, de frustrations et de sombres perspectives. Et avec ses effets contreproductifs et pervers. Souvenons-nous. La flambée des grèves pré-estivales avait été dénoncée par beaucoup de gens. Mais les Tunisiens y avaient massivement participé. Sectoriellement, c'est chacun pour soi. En vérité, le pragmatisme économique béat du gouvernement Essid cache son flagrant et latent échec économique. Le ministre des Finances n'est pas en reste. Le chef et le sociétaire, à l'instar de tout le gouvernement, sont en panne sèche. Ils manquent d'imaginaire. Bientôt ils nous proposeront de boire l'eau salée des sebkhas pour nous désaltérer. Et plus on en boira, plus on aura soif. Slim Chaker gardera ses beaux costumes et son large sourire. Et le citoyen trinquera, dans tous les cas de figure.