Projets de baignades tombés à l'eau, pour certains, suite à de bons petits orages, très bavards mais aussi très généreux Aoussou est bien capricieux, cette année. Mais à Sousse, où son avènement est fêté, chaque 24 juillet en grande pompe par un joyeux et sympathique festival qui aura bientôt 60 ans, Baba Aoussou, comme on l'appelle ici, a été encore plus capricieux que d'habitude. Après les grandes chaleurs suffocantes, car chargées d'humidité,caractérisant cette période de l'année qui s'étale sur 40 jours, selon l'almanach traditionnel deux fois millénaire, la perle du Sahel s'est vu gratifier, un peu précocement, de bons petits orages, très bavards mais aussi très généreux. Le petit tour d'un baigneur nostalgique. Sousse, le week-end dernier, avec la perspective alléchante d'une bonne série de baignades pour bien meubler des sensations estivales qui plongent leurs racines dans les souvenirs d'une enfance heureuse avec la mythique plage de Boujaâfar et sa non moins célèbre corniche, comme jardin familial. A chaque rendez-vous avec ces lieux magiques, des images vieilles de près d'un demi-siècle surgissent, toutes fraîches comme cette brise légère qui caresse nos joues, toutes animées des couleurs d'une mer d'azur et le brouhaha venant de la plage où les enfants s'adonnent à cœur joie aux multiples plaisirs d'interminables baignades. Une formidable ondée C'était sans compter avec cette série d'orages qui s'est terminée, dimanche matin par une formidable ondée. Dans la belle avenue qui longe la corniche, il faut patauger dans l'eau légèrement boueuse pour avancer même après la fin des averses. Mais la foule n'en finissait pas de grossir et la forêt des parasols aussi. Nous abandonnons l'idée de nous laisser aller dans les bras de ces douces vagues qui caressaient le sable fin car, après les orages, cela est connu : l'eau de mer se retourne mélangée un certain temps aux eaux chargées des oueds du coin. La foule, elle, s'en moquait éperdument. «Déjà, nous avons souffert le martyre à cause d'une prolifération de méduses sans précédent», nous a confié, dépité, un vieil ami qui n'a jamais quitté sa ville natale. Sur les ondes de la radio locale, qui n'est plus locale, une auditrice de Chott Meriem lançait un appel de détresse, plusieurs fois rediffusé, dénonçant la pollution qui s'est abattue massivement sur cette belle plage jadis sauvage où les eaux pluviales se sont mélangées à celles déjà usées, deversées directement dans la mer par des riverains pas très consciencieux Chott Meriem, au départ un petit village rural à 12 km de Sousse abritant le célèbre Institut supérieur d'horticulture, s'est vu envahir du côté de sa plage située à plus de cinq kilomètres à l'est, par de belles constructions privées... presque pieds dans l'eau. Voilà encore une perspective qui tombe à l'eau car nous avions eu l'idée de nous rabattre sur ladite plage que nous avons connue pour la première fois il y a 40 ans. Fin juillet, nous avons, en effet, goûté aux joies des baignades au bord de cette plage où le sable dispute les lieux à la terre arable qui, jadis, était cultivée mais aujourd'hui croule sous le béton. Bonjour l'ambiance... Tant pis alors pour la baignade et bonjour l'ambiance. Après une bonne sieste, nous voilà gonflés à bloc pour une promenade tout au long du reste de la journée et même au-delà. Très peu de touristes occidentaux, mais une présence remarquée de nos frères algériens venus massivement en voiture. Dans une avenue près de la grande poste, des dizaines de voitures immatriculées en Algérie sont stationnées en file indienne. Nos frères libyens qui viennent nettement plus souvent à Sousse, sont, eux, moins nombreux, toujours en le constatant par voitures interposées. Le tragique attentat terroriste qui a ébranlé Sousse le 19 juin dernier est sans doute à l'origine de la faible présence de touristes étrangers. Pourtant, les patrouilles de sécurité sont omniprésentes et l'animation est à son comble. Un véritable pied-de-nez à ces semeurs de la mort soi-disant au nom de Dieu, alors que ses sublîmes directives taxent ce crime odieux de pêché grandissime. A Bab Bhar, on se bouscule déjà devant ce fameux friteur, qui pour un brik doré, qui pour des fricassés chauds et pleins d'harissa, qui pour un «chichi» (petit beignet roulé dans le sucre appelé bambaloné à Tunis). Idem chez les fast-foods aux alentours du mausolée de Sidi Boujaâfar, le saint patron de la plage. Une escapade gourmande bien ancrée dans les traditions de la ville qui se termine généralement par un cornet de crème glacée. Nous succombons à cette belle et délicieuse tradition avant d'entamer cette autre qui consiste à effectuer un lent et nonchalant va-et-vient sur la corniche. A l'avenue Bourguiba qui mène de Bab Bhar à la plage, il faut s'armer de la patience d'un ascète pour avancer, le stationnement anarchique des voitures devenant quasiment la règle, alors qu'un point de contrôle policier est bien visible. Depuis des lustres, les vestiges d'un immeuble démoli continuent d'enlaidir l'avenue, face à ce grand Quatre étoiles et son centre commercial. Une petite toilette à cette façade délabrée que l'on agrémenterait d'une grande affiche ne coûterait presque rien à la ville. Et la lumière ne fut pas Nous nous accoudions à la balustrade pour admirer le spectacle. Il est presque 19 heures et bon nombre d'estivants étaient encore dans l'eau. Voilà que les baigneurs s'adonnaient presque tous à cette mauvaise habitude de jeter à même le sol les bouteilles d'eau vides après s'être rincé les pieds alors que les poubelles sont omniprésentes. «Oh, vous savez, la plage de Boujaâfar a perdu de sa superbe depuis des années», nous confia notre ami. Et d'ajouter : «Non seulement l'eau de mer a perdu de sa limpidité, mais aussi l'ambiance y est devenue de moins en moins familiale et de moins en moins soucieuse de civisme». Allez du côté de Khezama, où la plage est envahie par les hôtels ou encore à El Kantaoui, conseilla notre ami. Mais que fait ce chapeau tricolore (français) sur la plage ?... impossible d'avoir une réponse immédiate... Des scouts français peut-être. La nuit était déjà tombée et l'éclairage public dormait encore, plongeant ainsi la corniche dans l'obscurité. Il le restera jusqu'à notre départ vers 21h30. C'était le cas de certaines calèches qui, sans être inquiétées, continuaient de circuler sans feux arrière. Mais le plus tragique dans tout cela, c'était cet imposant Quatre étoiles, œuvre du légendaire Ali M'henni (projet et chantier) disparu il y a plusieurs années qui était plongé dans l'obscurité totale, alors que, jadis, il étincelait de mille feux et grouillait d'une vie pleine de joie. Retour au volant pour une escapade à la marine d'El Kantaoui, laissant des enfants continuer à taper dans le ballon, et les couples de jeunes à échanger des baisers furitifs. Nous finirons par abandonner l'idée à cause de la circulation qui devenait de plus en plus dense. Sur le chemin du retour au centre-ville, une affiche géante annonçant le gala dans les jours à venir d'une star libanaise chawarma (à l'instar des westerns spaghettis) éblouissait les yeux, inondée comme elle l'était par mille projecteurs.