Dans le jargon bijoutier, foundou désigne l'or pur, exempt de tout alliage. Dans celui des musiciens, le terme évoque les œuvres de souche («du fond de la jarrette» dit la maxime), celles qui perdurent dans les mémoires de par leur qualité même et leur expression authentique. Nous le soulignons depuis toujours, et nous ne sommes sûrement pas les seuls, les deux sens vont parfaitement à la musique de Chokri Bouzaïane. C'est une musique typiquement nôtre, mélodies et prosodies, qui parle notre langage, et qui a pour principe, jamais pris à défaut, l'usage exclusif de nos intonations et de nos modes. Foundou est le titre du dernier album de Chokri Bouzaïane, et ce sera aussi l'intitulé du concert qu'il donnera demain au Festival de Carthage. Comme profil, Chokri Bouzaïane présente les traits d'un chanteur «bien de son temps» : physique jeune, chansons concises et rythmées. En réalité, et si l'on veut bien prendre la peine de sonder son répertoire, c'est un artiste qui trace son sillon dans la stricte et fidèle continuité du patrimoine tunisien. Derrière «l'apparence» des tempos rapides, sous les allures de la simple taqtouqa,il distille, voila bientôt près de trente années de carrière, de vrais accents du terroir, un «chanter tunisien» qui, par-delà les arrangements, les variations, les sonorités «adoptées», s'inscrit dans le droit fil de notre tradition musicale. A preuve, ces dizaines et dizaines de chansons qui logent nos écoutes, fixées en nous, nonobstant les époques, les modes, les générations et les goûts, sans que, nécessairement , nous n'ayons besoin d'en localiser les dates et d'en identifier l'auteur. Des foundous au plein sens du mot, mémorisés, intériorisés, pérennisés, juste parce qu'ils existent et qu'ils occupent, irréversiblement, notre imaginaire. Faut-il les nommer ? Y rappeler encore ? Dawartini fi sabaaek, déjà, aria légère, à laquelle beaucoup prédisaient une disparition précoce. C'était à la mi-80, mais nous la chantonnons encore avec le même plaisir. Et puis ces Jorhi, Ya lil, Kass essabr, succès inépuisables, inépuisés, qui n'ont pas pris la moindre ride, comme s'ils étaient nés la veille. Ou mieux, les magnifiques Galou klem (émouvante supplique amoureuse), Sallou alih (ôde jubilatoire en hommage au Prophète), Hmam el Marsa, et Negreta, et Mahlek yammi, et Hadhi leblad, etc., toutes de prime abord fuyantes, ne «payant pas de mine»mais toutes, sans exception, verticales, foisonnantes de musiques, traversant avec entrain et subtilités, les plus improbables nuances de ces «toubous tounssias» dont on plaint souvent l'étroitesse. De nouveaux succès en vue Le concert de Chokri Bouzaïance demain à Carthage sera, pas de doute, de la même veine. Il y aura évidemment un choix de chansons connues, avec, ce qui ne gâchera rien, (au contraire ?) l'appoint d'une nouvelle orchestration et, en conséquence, d'une nouvelle sonorité. Mais les huit titres du tout dernier album seront bien là, et, les ayant bien auditionnés, nous prenons le pari qu'ils ne passeront pas inaperçus. La «taqtouqa aura toujours la part belle. C'est le genre cher à Chokri Bouzaïane. Pas de textes prétentieux», non plus. Clarté absolue, pédantisme exclu. Et enracinement mélodique, comme à l'accoutumée (on aura même droit à un rarissime Isbahane), mais dans le même temps, autre tendance du compositeur, ouverture aux expressions musicales ambiantes, au syncopé maghrébin surtout. Pourquoi non ? A recommander déjà des chansons comme Malla lila malla, un tube à coup sûr (finesse des phrasés, originalité), Thamma bit (trouvailles); Basma (de l'entrain). Mais les cinq autres peuvent aussi frapper d'entrée, il y a des révélations imprévisibles dans l'inédit, on ne le sait jamais. Deux ou trois chorégraphies illustreront le chant, accompagnements visuels pour agrémenter le spectacle, c'est devenu courant. Injustice réparée Chokri Bouzaïane ne s'est pas produit en récital unique à «Carthage» depuis 1994. Dieu pardonne à ceux qui lui ont préféré, pendant ces longues années, des stars libanaises et autres, choisies pour leur impact publicitaire et en aucun cas pour leur voix. L'injustice est réparée, Dieu merci. Reste au public tunisien à emboiter le bon pas et à venir nombreux (enfin !) applaudir sa musique et vendre son dû à un de nos plus sûrs talents.