Par Soufiane Ben Farhat L'Europe unie ne semble paradoxalement pas prête de sortir de sitôt de l'auberge de la discorde. Deux faits notoires en témoignent. D'abord, l'imminente entrée en lice du nouveau service diplomatique de l'Union européenne. Il sera fonctionnel à la rentrée. Sa conception n'a pas été aisée. De très longs pourparlers, à couteaux tirés au besoin, y ont présidé. L'échange n'a guère été tendre à ce propos entre la Commission européenne, le Conseil européen, le Parlement européen et bien évidemment Lady Ashton, baronne britannique nommée haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. C'est ainsi. Le trop-plein de démocratie engendre par moments la cacophonie. Et la ratification du traité de Lisbonne a été synonyme de tant d'instances en charge de la politique européenne extérieure. En plus des présidences tournantes de l'UE. Oui bien sûr. Elles ont encore de beaux restes. Ensuite, il y a ce qu'il conviendrait de baptiser «le style Cameron». En visite en Turquie il y a peu, le Premier ministre britannique a défrayé la chronique. Et froncé bien des sourcils côtés allemand et français. Il a en effet suscité le courroux d'Israël —et de ses inconditionnels alliés— en déclarant que Gaza était un «camp de prisonniers». Il a par ailleurs suscité la fureur des Pakistanais en disant devant un parterre d'Indiens que le Pakistan «favorisait l'exportation du terrorisme». Comme on s'y attendait, l'ambassadeur d'Israël en Grande-Bretagne a promptement tiré une salve. A l'en croire, «les habitants de Gaza sont les prisonniers de l'organisation terroriste Hamas». Le secrétaire du Foreign Office, William Hague, a dû s'en expliquer lors d'un point de presse avec les journalistes britanniques. Et il n'a pas manqué d'assumer: «Le Premier ministre dit la vérité et nous sommes tous unis et sans ambiguïté, heureux de ce qu'il a dit. Le Premier ministre est un grand diplomate et je le vois tous les jours lorsqu'il est en rapport avec des dirigeants étrangers», a-t-il précisé. A vrai dire, David Cameron fait montre d'une lecture attentive de la donne en place. Il annonce dès lors la couleur en connaissance de cause, quitte à froisser certains des proches alliés. On sait qu'il fustige volontiers l'obstruction d'importants Etats membres à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Raison pour laquelle il s'empresse de défendre la cause d'Ankara. La raison de cette attitude ferme et à rebrousse-poil du ton paneuropéen dominant, il l'a bien étayée lors de son discours devant le Parlement turc, le 27 juillet: l'Europe a besoin du plein engagement de ses voisins proche-orientaux. Un engagement garant du règlement de nombre de dossiers brûlants tel celui des sanctions contre l'Iran en raison de son programme nucléaire controversé. De son côté, la diplomatie turque a tout fait pour se repositionner différemment sur l'échiquier régional depuis quelque temps. Ankara ne campe plus le rôle ingrat de l'éternelle fiancée. Elle a des exigences et des priorités. C'est à dire un agenda en retour de son statut jusque-là obligé et extraverti. Après avoir officié, des décennies durant, comme l'un des principaux alliés d'Israël dans la région, la Turquie joue désormais les premiers violons dans le concert du leadership régional. Un leadership incluant principalement les Arabes et les Musulmans. L'Iran, aux prises avec Israël et ses principaux alliés occidentaux en raison de son programme nucléaire controversé, y trouve un point d'appui. Rétrécir la cible de l'attaque est toujours le bienvenu. Et les récentes attaques illégales, par la marine de guerre israélienne dans les eaux internationales, de la flottille de la paix pour Gaza battant pavillon turc, a ravivé les prétentions indépendantistes turques. David Cameron —à l'instar des Américains— ne semble guère enclin à laisser se dissiper la solidarité atlantiste turque. Et les considérations relatives à l'Otan tiennent particulièrement à cœur aux perpétuels alliés américano-britanniques. Le rôle de l'actualité opérant à petit feu et coups d'éclat intermittents est particulièrement corrosif. Cameron le sait. Et Cameron y pare à petit feu et coups d'éclat.