ANKARA (Reuters) — Le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, se rend cette semaine à Téhéran pour tenter de sauver le projet de règlement de l'Onu pour le dossier du nucléaire iranien mais la médiation d'Ankara ne semble guère prometteuse alors que se multiplient les appels aux sanctions. La Turquie, dont les relations avec l'Iran se sont renforcées depuis que le parti AKP issu de la mouvance islamiste est arrivé au pouvoir à Ankara, a proposé d'en tirer parti pour contribuer à résoudre le différend qui oppose les puissances mondiales à Téhéran. Le Président Mahmoud Ahmadinejad a ordonné de commencer la production d'uranium enrichi à 20% sur le territoire iranien, exposant la République islamique à de nouvelles sanctions possibles au Conseil de sécurité de l'Onu. «Si Ankara ne parvient pas à ramener Téhéran à une position raisonnable sur la question de l'enrichissement d'uranium, la Turquie court le risque de se retrouver isolée parmi ses alliés», estime Semih Idiz, commentateur du journal turc Milliyet, dans un article intitulé «Le gambit iranien d'Ankara». Idiz n'exclut pas que la visite de Davutoglu tourne à l'épreuve de vérité en ce qui concerne l'influence régionale de la Turquie. Le ministre turc rencontrera demain son homologue iranien Manouchehr Mottaki pour des entretiens qui porteront notamment sur l'offre de compromis présentée l'automne dernier par l'Agence internationale de l'énergie atomique (Aiea). Aux termes de celle-ci, l'Iran enverrait de l'uranium faiblement enrichi à l'étranger pour qu'il soit transformé en combustible destiné au réacteur de recherche médicale de Téhéran. Selon des responsables turcs, Davutoglu pourrait aussi rencontrer Ahmadinejad, que le Premier ministre turc Tayyip Erdogan qualifie d'«ami proche», et Ali Akbar Salehi, directeur de l'organisation iranienne de l'énergie atomique. Changement d'orientation ? «Nous allons parler de l'offre d'échange. La proposition de l'Aiea reste valable. Nous pensons que les négociations et la diplomatie sont toujours le meilleur moyen de résoudre ce problème», a indiqué un responsable du gouvernement turc. La Turquie s'est proposée comme pays tiers où l'uranium pourrait être échangé. Bien que ce projet d'échange reste officiellement sur la table de négociation, un haut diplomate proche de l'Aiea a déclaré à Reuters qu'elle était «pratiquement morte» en raison de la profonde méfiance qui prévaut et de l'annonce par l'Iran d'activités d'enrichissement à un niveau supérieur. Ahmadinejad a affirmé jeudi que l'Iran serait en mesure d'enrichir de l'uranium à plus de 80%. Salehi, lui, a même dit que le pays avait la capacité de l'enrichir à 100% mais n'avait l'intention de le faire à moins d'y être contraint. La Maison-Blanche a toutefois indiqué que Washington ne croyait pas l'Iran capable d'enrichir l'uranium aux niveaux qu'il évoque. Certains se demandent si la Turquie, membre de l'Otan dont les espoirs de rapprochement avec l'UE sont quelque peu refroidis, ne se détourne pas de l'Occident pour approfondir ses liens avec d'autres pays musulmans. La détérioration de ses rapports avec Israël nourrit également ces interrogations. Ankara, repoussant les allusions à un tel changement d'orientation, propose de mettre son influence diplomatique au service d'une politique de lutte contre la prolifération des armes nucléaires dans la région. En Europe, certains voient toutefois dans le rôle de la Turquie un frein plus qu'une aide. «D'un côté, on reconnaît que la Turquie peut être un allié vital. De l'autre, on s'inquiète de ce que cette politique risque d'aller à l'encontre des intérêts européens», note Daniel Korski, du Conseil européen des relations extérieures (Ecfr). Plusieurs diplomates et analystes occidentaux doutent qu'Ankara parvienne à persuader l'Iran de renoncer, même partiellement, aux ambitions qu'il peut nourrir dans le domaine nucléaire. Certains pensent pour leur part que l'Iran exploite la Turquie à son profit dans son épreuve de force avec l'Occident.