«C'est au moment où les principes éthiques disciplinent comme jamais auparavant tous les actes de notre quotidien que nous subissons l'emprise de modes de vie qui, eux, échappent à tout contrôle éthique ou démocratique». Ce paradoxe des temps modernes est au cœur de La tyrannie des modes de vie (Editions Le Bord de l'eau), le dernier livre de Mark Hunyad, professeur de philosophie morale et politique à l'Université catholique de Louvain, Mark Hunyadi est un intellectuel qui refuse de vivre dans sa tour d'ivoire. De plain-pied dans la société contemporaine, il est passionné par la question de la morale. Il est aussi l'auteur d'une réflexion sur l'éthique et la biotechnologie. Observateur, l'homme est aussi engagé dans un combat politique, au sens noble du mot. Ainsi, dans son livre formule-t-il une proposition qui, espérons-le (sans se faire trop d'illusions), sera reprise par les élus européens. Mais, d'abord, Mark Hunyadi formule un constat : «L'éthique est le maître mot, l'éthique est sur toutes les lèvres : les chartes éthiques se multiplient, dans les écoles, sur les lieux de travail, dans les institutions ; les commissions éthiques pullulent, qui cadrent les décisions potentiellement dangereuses ; les labels certifient l'équité des produits de consommation ; le politique est scruté aux lunettes de la morale ; toutes nos déclarations publiques sont mesurées à l'aune du politiquement correct, éthique de la juste pensée». Tant mieux, dira-t-on. Nul ne regrettera que les sociétés élaborent des codes de bonne conduite afin de s'améliorer. Mais pour autant, tout est-il pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Pas sûr. En effet, cette éthique aux multiples visages, cette course à la norme ne remet pas en cause «la marche en avant de l'immense machine qui dévore ceux qui l'utilisent», écrit Mark Hunyadi. Elle ne fait que l'accompagner. Une constatation qu'il formule dans une phrase qui fait mouche : «On a sécurisé la roue du hamster, nous pouvons y tourner en toute quiétude». Pour lui, il est donc temps de lever la tête et de regarder plus loin que le principe de précaution par exemple, car «le fractionnement de l'éthique favorise un monde que l'éthique a déserté». Logique. C'est «le système» qui veut cela, étant donné que ce repli «est ce qui est objectivement requis par lui pour pouvoir se déployer sans heurts», juge le philosophe. La question devient alors autrement plus sérieuse. Il faut se la poser : où allons-nous ? Une interrogation qui, dans le monde globalisé qui flatte l'individualisme au détriment de l'action collective, finit peu à peu par être évacuée. Elle n'est plus celle que soulève «la Petite éthique», «vassale du système», mais celle de notre mode de vie qu'il ne faut pas confondre avec le style de vie. «L'idéologie technologique» A l'ère du numérique, Mark Hunyadi s'interroge : «Est-ce vraiment, d'une manière générale, le progrès technologique qui constitue notre salut ?». Provocateur, il se demande s'il n'y a pas mieux à faire «même du point de vue de notre confort, que d'envahir notre environnement de nanoparticules servant à raffermir nos balles de tennis, à rendre transparentes nos crèmes solaires, plus fluides nos yoghourts et inodores nos chaussettes ?» Assurément si. Il y a mieux à faire. Mais aucun comité d'éthique ne remet en cause «l'idéologie technologique». Au nom du progrès. Mais de quel progrès parle-t-on? Les peuples doivent s'emparer de la question et y répondre afin de dire dans quelle société ils veulent vivre vraiment. Il faut un «agir collectif», souligne l'auteur avant de formuler une proposition. Pour atteindre cet objectif, il ne faut pas attendre de «grand soir», de révolution, de grandes théories fumeuses. Il faut mettre en place une instance politique à l'échelle européenne au sein de laquelle nous pourrions tous nous poser la question de notre mode de vie. Pourquoi pas un «Parlement des modes de vie» ? «Au destin fatal de l'engrènement mécanique des libertés individuelles débouchant sur la tyrannie des modes de vie, se substituerait le choix commun d'options mûrement débattues», espère Mark Hunyadi. L'idée est séduisante. Qu'en pense-t-on au siège de l'Union européenne à Bruxelles où l'on n'a guère l'habitude d'écouter les citoyens ? (RFI)