«Une croissance économique n'a de valeur que si elle s'appuie sur une éthique qui confère à la finalité humaine une primauté absolue», Jean Mersch (1938) Sept trillions de dollars, le montant que pourrait perdre l'économie mondiale, d'ici 10 ans, en l'absence de mesures réglementaires concernant l'environnement, avait déclaré Nicholas Stern, ancien chef économiste de la Banque mondiale. Ce chiffre vient de renforcer ce qu'on a déjà annoncé précédemment, à propos des risques de pertes économiques que présente un développement non durable. Et en partant de telles constatations, nous avons proposé des alternatives pour lancer des politiques vertes, en s'appuyant surtout sur l'innovation technologique. Dimension économique, politique environnementale, croissance verte, innovation technologique propre ou encore durable… Ce sont les termes qu'on a répétés à plusieurs reprises durant nos deux précédents articles. Ces termes mettent en évidence une relation entre deux entités : l'Homme, d'une part, en agissant avec ces capacités, et son environnement, d'autre part, en comprenant toutes les conditions de son existence. En rappelant cette relation, on se réfère, implicitement, à Darwin qui insiste sur le caractère évolutif des relations entre l'Homme et la nature. Cette relation se traduit par le terme «écologie». Un terme d'origine grec «oikos», paru avec les doctrines philosophiques grecques. D'un point de vue scientifique, l'écologie étudie les relations des êtres vivants avec leur environnement. Quant au questionnement philosophique, l'écologie apparaît comme une théorie qui a pour objectif, la réalisation d'une meilleure adaptation de l'Homme à son environnement naturel. A travers ces questions philosophiques, né, évidemment, des courants politiques qui ont en commun une remise en cause des utopies progressistes. Ces courants écologistes remettent en cause les révolutions industrielles, ainsi que les développements scientifiques, technologiques et économiques sans éthique. Les premières utilisations du terme «éthique» reviennent à l'époque des philosophies grecques. Avec la pensée d'Aristote, sous le nom d'«ethos», l'éthique se définit comme une science pratique ayant pour objet l'action de l'homme en tant qu'être de raison et pour fin la vertu dans la conduite de la vie. En se basant sur cette définition, l'éthique se base sur deux concepts fondamentaux : l'action, en tant que mouvement mécanique, et la vertu, en tant que finalité ultime pour n'importe quel résultat. Ces deux concepts modélisent toute relation établie entre l'Homme et une autre substance (terme utilisé dans la philosophie de Spinoza lorsqu'il a parlé d'éthique –substance divine—) de son environnement (social, professionnel, naturel…). Vu que notre intérêt spécifique porte sur les politiques vertes, notre substance considérée sera l'environnement vert de l'Homme. A ce niveau, on vient de définir une relation entre deux ensembles. La relation définie est l'éthique. Le premier ensemble est l'environnement avec toutes ses composantes (animales, végétales…). Quant au deuxième ensemble, il englobe l'Homme. Rappelons notre analyse : en partant des solutions empiriques qu'on a proposées, on a défini un concept de base pour réaliser un développement durable, à savoir l'éthique qui doit être présente dans toutes les relations humaines et surtout dans la relation Homme, environnement. Or, l'Homme est la particule indivisible du tissu économique et social. Son identité se trouve dans un noyau dit famille. Ses relations se manifestent dans un groupe dit environnement social. Quant à ses actions actives et constructives, elles trouvent leur chemin dans son droit de travail, au sein d'une unité appelée entreprise. C'est dans cette dernière unité que sa volonté d'agir et de créer se manifeste, alors, c'est son rôle d'orienter la finalité de ses actions d'une finalité purement économique vers une finalité éthique. Au cours de l'article précédent, on s'est concentré sur le rôle de l'entreprise dans le lancement des politiques d'innovation technologique afin de métamorphoser leurs procédés de productions actuels vers des procédés propres, en se basant toujours sur les gains économiques que pourraient réaliser l'entreprise en suivant un modèle de technologie verte. Certes, l'entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l'on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n'aura plus de raison d'être (d'après Henry Ford). Par conséquent, on déduit que l'entreprise d'aujourd'hui doit changer ces finalités, vers des finalités éthiques ou morales basées sur les valeurs de l'entreprise, afin de pouvoir se transformer vers une entreprise éthique dans son fond, et verte dans sa forme. Cette constatation nous mène à définir et à analyser le concept d'éthique au sein de l'entreprise, qui doit précéder tout changement, afin que la métamorphose vers une entreprise verte soit efficace. Un terme qui paraît absurde pour une entreprise capitaliste, sauf que l'éthique peut bien avoir une place dans une telle structure. En effet, le terme éthique au sein de l'entreprise a deux sens principaux‑: la volonté de bien faire, dans un sens très général, et la capacité de lancer un processus de décision face à un problème qui pose une question d'éthique, dans un sens un peu plus précis. La réalisation d'un tel projet d'éthique au sein de l'entreprise repose généralement sur des plans d'actions de management intégré. En se calant sur les méthodologies de la démarche qualité intégrées par l'entreprise et en établissant un diagnostic des pratiques qui permettra de modéliser l'espace éthique de cette structure et de percevoir les éventuelles ambiguïtés ou incohérences existantes, les managers peuvent définir un référentiel d'éthique propre à leur structure. Le suivi et le respect d'un tel référentiel doivent se faire à travers le développement d'un système d'évaluation continue des décisions stratégiques prises, d'une part, et par la mise en place d'un plan d'action et d'amélioration continue, d'autre part. Au cours de ces actions de transformation, le chef d'entreprise doit avoir un rôle important dans la définition d'une démarche éthique, mais il ne doit pas étouffer la créativité des collaborateurs. En d'autres termes, il ne doit pas avoir une réception verticale des valeurs imposées par le référentiel d'éthique, afin que ce dernier soit pris en charge par tous les salariés en l'appliquant dans toutes les tâches quotidiennes. Un tel modèle d'entreprise qui a un management éthique n'est pas une fiction, au contraire, c'est une réalité qui pourrait ramener plus de gain pour l'entreprise. A cet égard, l'exemple de Patagonia et de son dirigeant atypique est édifiant. Patagonia fait partie de ces entreprises qui «surfent» sur la vague de l'environnement. Elle a su se démarquer en prenant très tôt le pari de l'environnement avec, notamment, ses emblématiques laines polaires en plastique recyclé. Mais ce qui distingue tout particulièrement Patagonia, c'est l'esprit avec lequel son fondateur Yvon Chouinard gère l'entreprise. Ecologiste engagé, il a toujours mis les préoccupations environnementales au cœur de sa stratégie d'entreprise. Il s'est attelé à la question à tous les niveaux : conception des bâtiments et des produits, management environnemental, partenariat avec des ONG… et a entraîné tous ses employés dans cette dynamique. Un pari réussi qui a trouvé écho auprès des consommateurs avec des opérations de communication extrêmement percutantes qui ont pour effet de créer un mouvement de confiance et de soutien de la part des consommateurs. En se positionnant sur ce nouveau marché, Patagonia a su se démarquer. L'éthique, d'habitude un terme qu'on croise dans les livres philosophiques ou dans les débats politiques. Aujourd'hui, on l'emploie dans le cadre d'une entreprise capitaliste. C'est dans ce but qu'on a cité le dernier exemple qui montre bien la réalité d'un tel concept dans nos économies modernes. Certes, l'éthique au sein de l'entreprise est considérée comme une option de choix aujourd'hui, mais d'après les statistiques et les prévisions climatiques et environnementales, l'éthique environnementale sera d'ici quelques années le moyen incontournable de la vie des entreprises. C'est vrai qu'au cours des précédentes analyses, on s'est concentré sur les changements politiques, stratégiques et technologiques que devrait faire l'entreprise, mais pour réussir de bons changements, il faut avoir de bonne volonté. Et sur ce point, je rejoins Emmanuel Kant lorsqu'il dit : «De tout ce qu'il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n'est rien qui puisse sans restrictions être tenu pour bon, si ce n'est seulement une volonté bonne».