Les classiques sont incontournables. Jean-Paul Sartre disait que l'inconscient est le réservoir de la mauvaise foi. Autrement, l'inconscient n'est qu'une conscience de mauvaise foi. L'Europe en administre la preuve face au drame syrien La diffusion, la semaine dernière, de la photo du petit enfant réfugié syrien, Aylan Kurdi, mort noyé, suscite une brusque flambée émotionnelle. Une image étrangement ignorée 24 heures durant par la presse française, à l'opposé de la presse européenne. Un cas d'école digne d'être ausculté de près, à l'ère des autoroutes de la communication et de la simultanéité tous azimuts de l'information. Le lendemain, l'éditorial du journal Le Monde tente de rectifier le tir : «Cette photo, celle de l'enfant, témoigne très exactement de ce qui se passe. Une partie du Proche-Orient s'effondre à nos portes. Des Etats qui étaient des piliers de la région se décomposent — la Syrie et l'Irak notamment. Les pays voisins immédiats croulent sous une masse de réfugiés qui représentent souvent près du quart de leur population — en Jordanie et au Liban. Ces Etats-là, si l'on n'y prend garde, vont commencer à vaciller à leur tour». On est bien loin de l'époque où l'immense Eric Rouleau consacrait, en 1973, une série de cinq articles retentissants au Monde au drame palestinien. Leurs titres étaient on ne peut plus éloquents : «Les apatrides», «Les vaincus», «Les damnés», «Les désespérés», «Les hérétiques». Les jours s'en vont, l'injustice demeure. Les Syriens sont eux aussi apatrides, vaincus, damnés, désespérés, hérétiques. On n'a pas attendu un éditorial sur le tard pour se rendre compte que l'Irak s'effondre. C'est déjà fait depuis 2003, suite à l'intrusion du corps expéditionnaire anglo-américain en Mésopotamie. La Syrie, elle, flambe depuis 2011. Depuis qu'Américains, Anglais, Français, Allemands, Turcs, Israéliens, Saoudiens et Qataris se sont avisés d'instrumentaliser la révolution syrienne. Et de livrer la Syrie, avec armes et bagages, aux milices surarmées d'Al Qaïda, d'Ennosra et de Daech, encadrées et manipulées par les services secrets occidentaux. Aujourd'hui, on feint de s'émouvoir. Les dirigeants européens prennent des engagements. Le ministre français de l'Intérieur remercie les communes qui prennent en charge une famille de réfugiés. Sa Sainteté le pape exhorte les paroisses à abriter des réfugiés. Entre-temps, le Haut commissariat pour les réfugiés dénombre près de huit millions de réfugiés syriens. Le nombre des victimes syriennes dépasse les deux cent mille tués et des centaines de milliers de blessés. Les Etats-Unis d'Amérique, appuyés par les Européens, ont annoncé leur volonté d'armer les factions syriennes rebelles dites modérées. Le monde arabe est à feu et à sang et Israël jubile. C'est dire si, au-delà du brusque soubresaut émotionnel suite à la diffusion de l'image de l'enfant syrien noyé, on n'est pas sorti de l'auberge. Encore une fois, les poncifs, lieux communs et idées reçues mènent le triste bal. Les dirigeants et observateurs européens sont dans la posture du général De Gaulle jadis, lorsqu'il avait dit : «Vers l'Orient compliqué, je volais avec des idées simples». La bonne conscience à la sainte-nitouche est sauve. Les Etats sont absous. Et le sang «impur» abreuve les sillons.