«L'avenir de la Tunisie dépend de l'implication de tous», disait déjà un certain Béji Caïd Essebsi, alors Premier ministre du gouvernement de transition en 2011 Aujourd'hui, lundi 7 septembre, les yeux des Tunisiens seront rivés sur le palais de Carthage où se tiendra la deuxième rencontre des cinq initiée par la président de la République Béji Caïd Essebsi et qui réunira autour de lui le président de l'ARP Mohamed Ennaceur, le chef du gouvernement Habib Essid, le secrétaire général de l'Ugtt Houcine Abbassi et la présidente de l'Utica Wided Bouchemmaoui. Elle devra sceller un accord sur les points de litige et sur un agenda des négociations sociales entre les partenaires sociaux. Tant il est vrai que la rentrée s'annonce chaude, les spéculations montent, les menaces des syndicats de l'enseignement se précisent et le mois de septembre se présente sous forme d'une série d'interrogations lancinantes, d'inquiétudes sur l'évolution des événements et d'incertitudes sur une année scolaire qui risquerait d'être compromise. Accord sur les augmentations, désaccord sur la date d'effet Entre le 18 août et le 7 septembre, la commission dite quatre plus quatre qui se compose de quatre membres du gouvernement et de quatre membres du bureau exécutif de l'Ugtt, s'est réunie, pas moins de huit fois, pour arrêter le calendrier des négociations sociales, s'entendre sur le montant des augmentations salariales dans la fonction publique et leur date d'effet, ainsi que sur les points de divergence. Selon certaines sources, les négociations ont bien avancé et les deux parties sont tombées d'accord sur le principe des augmentations, entre 50 et 60 dinars pour les agents de la fonction publique et les entreprises publiques. En plus de la généralisation à tous agents de la fonction publique de l'indemnité spécifique ou sujétion spéciale dont ont bénéficié les enseignants du secondaire. La partie syndicale propose trois paliers de 105 dinars, 135 dinars et 150 dinars, alors que le gouvernement se tient à 90, 120 et 150 dinars respectivement pour les catégories A1, A2 et A3 et qui sera échelonnée sur trois ans. Toutefois, le désaccord persiste quant à la date d'effet. La centrale syndicale propose octobre 2015 pour les augmentations salariales et janvier 2016 pour les indemnités spécifiques, alors que le gouvernement s'y oppose en raison des difficultés budgétaires. La loi de finances complémentaire adoptée par l'ARP n'a pas prévu d'augmentations salariales pour 2015, alors les dernières augmentations ont coûté près de 450 millions de dinars au budget de l'Etat. Les nouvelles augmentations, telles que proposées par la centrale syndicale, nécessiteraient la mobilisation de 1.5 milliard de dinars, soit environ 5% du budget total de l'Etat. Or, toujours d'après le gouvernement qui a tout remis sur la table, chiffres à l'appui, l'année 2015 a été difficile, celle de 2016 sera plus difficile encore alors que 2017 coïncidera avec le début du remboursement des crédits contractés par la Tunisie sous le gouvernement Mehdi Jomâa et qui s'élève à 4.300 milliards de dinars. C'est pourquoi, il propose janvier 2016 pour la jouissance de l'augmentation salariale et de reporter la date d'effet de l'indemnité spécifique à début janvier 2018. Sinon, comment faire quand on sait que l'économie nationale qui reste toujours tributaire de l'agriculture, des mines et de l'énergie, du tourisme et des industries manufacturières, est aujourd'hui en panne à cause, surtout, de l'arrêt de production des phosphates, du recul du tourisme qui a pris un sacré coup suite aux attentats terroristes du Bardo et de Sousse et d'une saison agricole très en deçà des promesses. Toutefois, le gouvernement est prêt à consentir davantage de sacrifices en vue de préserver la paix sociale qui a un prix. Elle s'achète. Un modus vivendi semble avoir été trouvé sur les nouveaux «règlements» qui devraient, désormais, régir les rapports entre le gouvernement, d'un côté, et la centrale syndicale, de l'autre. Aucune revendication durant les prochaines années. «L'avenir de la Tunisie dépend de l'implication de tous» Sur un autre plan, on s'attend à ce que d'autres mesures soient prises au cours de la rencontre d'aujourd'hui concernant les négociations salariales dans le secteur privé, l'emploi, le développement régional, l'investissement et surtout l'assainissement du climat social. Or, le climat social demeure en grande partie tributaire du climat politique. Le débat sur le projet de loi relatif à la réconciliation économique et financière fait rage et l'opposition se mobilise contre l'initiative présidentielle. En l'absence d'un vrai débat sur ce genre de question et d'un dialogue franc et sans a priori, le risque de débordement est grand et la rue va gronder avec ses corollaires, la répression, la violence et des conséquences graves sur la sécurité du pays et sa stabilité. La crainte de l'usurpation des mouvements de protestation contre le projet de réconciliation et de leur détournement pour des desseins inavoués par des esprits nocifs n'est pas du tout exclue. Nos politiques doivent se rendre à l'évidence. Les Tunisiens, puisque tout le monde parle en leurs noms, sont épuisés par cette ébullition, excédés par cette expectative qui n'a que trop duré, fatigués par ces débats politiques interminables et angoissés face à un avenir qui ne s'annonce pas sous de bons auspices. Les terroristes rodent partout, l'économie est exsangue, les touristes ont déserté nos hôtels et nos plages suite à deux attentats meurtriers qui ont coûté la vie à près d'une soixantaine de touristes, les investissements tardent à arriver et les entreprises publiques et privées marquent le pas à cause des sit-in et des grèves. Le ciment de l'unité désespérément recherchée n'a pas pris et les principes de dignité, de justice, d'égalité et de liberté... dont on nous gave à longueur de journée se trouvent réduits à une pédanterie stérile. Certains hommes politiques n'ont pas hésité à franchir le Rubicond en appelant à la «désobéissance, à une deuxième révolution sociale». Sans trop verser dans un pessimisme noir, il faut, toutefois, se rendre à l'évidence, le pays va à reculons et ce ne sont pas les promesses, non encore tenues, des gros investisseurs qui vont redonner la force aux Tunisiens de redresser la barre. Ni encore moins ces satisfecit adressés par de hautes personnalités du monde à «la révolution des jasmins», précurseur du printemps arabe qui vont nous guérir de nos maux. Le plus grand danger qui guette le pays c'est la division». Voilà que nous y sommes. Malheureusement. Car toutes les menaces peuvent être dépassées sauf celle là. L'espoir né après les dernières élections ne doit pas s'estomper. Le président de la République qui est «le symbole de l'unité» de l'Etat et le garant de «son indépendance et sa continuité» et qui «veille au respect de la Constitution», a décidé d'exercer ses compétences en ces moments difficiles en convoquant cette rencontre pour déminer une situation de crise. Une initiative, certes, louable et à saluer. Mais qui n'en demeure pas moins fragile si elle n'est pas soutenue par les acteurs politiques, par la société civile et les médias. Elle est appelée à être élargie à toutes les composantes de la société et surtout aux différents partis politiques, y compris ceux qui ne sont pas, aujourd'hui, représentés au sein de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) et qui donnent de la voix. Un sursaut d'orgueil de tous les Tunisiens est plus qu'indispensable pour éviter les dérives suicidaires, les dérapages sécuritaires et économiques, bref éviter que le pays ne sombre dans le chaos. Bannir le sentiment de vindicte et prôner la réconciliation et la concorde, voilà le chemin à suivre. Toutes les forces vives, indépendamment de leurs sensibilités, doivent s'unir autour d'un seul objectif, remettre le pays sur les rails. Avant que la rue ne gronde et ne vibrionne de nouveau. «L'avenir de la Tunisie dépend de l'implication de tous», disait déjà un certain Béji Caïd Essebsi, alors Premier ministre du gouvernement de transition en 2011.