L'organisation non gouvernementale Alda, Association pour le leadership et le développement en Afrique, également Union des leaders africains et les associations de migrants en Tunisie ont organisé une conférence de presse, vendredi dernier, pour faire entendre la voix des migrants dans le sillage de la Journée internationale des migrants célébrée l'avant-veille, soit le 18 décembre de chaque année. M. Touré Blamassi, directeur exécutif de l'Association pour le leadership et le développement en Afrique, qui a longtemps organisé les débats, dresse un bilan sur la question de la migration en Tunisie. «Notre action consiste à mettre en place une réflexion qui touche à la fois le plaidoyer la dimension politique et la question de l'intégration des migrants. Il faut donner la parole à ces migrants. On ne veut pas simplement focaliser la dimension malheur. Il faut également se pencher sur les success-stories sans qu'elle occulte la question de malheur. Ceci implique que la société civile tunisienne et les médias travaillent ensemble». Sachant que c'est un problème international, on lui a demandé de préciser le rôle que doit jouer l'Afrique dans la coopération sud-sud. Chose à laquelle il répond avec une ferme conviction : «Il faut plus de coopération bien entendu. Aujourd'hui, vous avez plus d'intégration en Afrique de l'Ouest et de l'Est mais bien moins ou quasiment pas en Afrique Centrale. Il y a une division entre la dimension nord et sud du Sahara. Il y a des Etats avec une approche amitié comme avec Bourguiba et Houphouet Boigny mais la diplomatie n'a pas dépassé la dimension humaine et n'est pas devenue une institution». Il stigmatise le manque d'échanges en matière d'expertise technique et de ressources humaines entre les différentes régions de l'Afrique avec la Tunisie qui peuvent constituer des « relais extraordinaires ». De son aveu, cette intégration n'est pas prise en compte. Les frontières en Afrique doivent être dépassées pour permettre une plus grande mobilité entre les pays d'Afrique. «Le migrant doit parler parce qu'il a une histoire à raconter. On ne doit pas parler uniquement à sa place et extrapoler en son nom. Le migrant aussi est une force de proposition et d'enrichissement». Marginalisation et discrimination L'heure est grave dans la salle de conférence au siège de l'Alda à Tunis. Le ton est sévère, les regards résignés ou désapprobateurs à cause du malheur des migrants qui ont perdu la vie. La ville de Médenine est devenue une plateforme migratoire. Une jeune Soudanaise âgée de 15 ans disait : «Je veux aller à l'école, je veux aller en Tunisie». Il y a des associations qui aident les migrants à Sfax, ZarzisSousse et même à côté du local sis à l'avenue Kheireddine Pacha. L'immigration devient malheureuse alors qu'elle était destinée à être heureuse et glorieuse. Blamassi revient sur la situation énigmatique du cimetière des inconnus à Zarzis. 400 à 500 morts y sont enterrés dont une Nigérienne qui a été identifiée. Il parle des migrants malades au nombre de 650 qui ont peur d'être stigmatisés au sein de la société tunisienne… Il raconte que le racisme n'est pas reconnu en Tunisie mais porte davantage le sceau du problème d'intégration. Pourtant le 25 décembre 2017, trois Congolais ont été brutalisés dont l'un d'eux poignardé à mort. Depuis, il n' y a pas eu d'autres épisodes fâcheux en matière de racisme. Prise de conscience et mobilisation Blamassi qui a accompli une prouesse durant les échanges en tant que modérateur lors du point de presse estime que les citoyens des pays africains éprouvent de la honte pour le désir de certains de migrer sous d'autres cieux comme en Tunisie. Ils se demandent ce qu'ils vont chercher désespérément à des milliers de kilomètres. « Pour beaucoup de migrants, tout va mal. Ce qui n'est pas faux. Cependant, je ne crois pas trop qu'on soit dans la réciprocité même si l'Alda pèse dans le débat». Après avoir avancé le chiffre effroyable des 36 migrants qui ont été dirigés dernièrement comme des forcenés vers le désert libyen avec femmes et enfants, Blamassi fait d'autres révélations et en appelle à la prise de conscience et la mobilisation « L'Union européenne craint la société civile. On doit porter les voix et parler ensemble entre nous migrants. Nous sommes dans le concret. Ne restons pas les bras croisés» Pendant ce temps, au Maroc, une initiative Kirikou a émané d'un migrant qui a créé des garderies gratuites à Casablanca et Rabat pour aider les migrants à garder leurs enfants. Blamassi précise encore : «Tout un système d'intégration a été mis en place qui fait qu'au Maroc, c'est parfait en termes de structures d'accueil». Gérer les flux migratoires Un communiqué remis par l'Alda en marge de la Journée internationale des migrants formule d'autres propositions et soulève certaines interrogations. « Plus que jamais, le constat est là, les nombreux défis en relation avec cette thématique se font de plus en plus insistants. Il semblerait même que nos modèles traditionnels de société soient remis en question par certaines politiques exprimées par certains Etats, et ce, selon une logique strictement sécuritaire. L'Europe se barricade et pour mieux le faire, elle renforce ses instruments d'externalisation des frontières. La thématique migratoire semble être l'épouvantail, invitée-surprise dans les débats politiques. Il importe de le dire. Désormais, on a peur du Migrant». Quelle est donc la position des Etats africains dans ces débats plus que jamais mondialisés ? Les Etats de l'Afrique du Nord, de par leur position géographique, se trouvent aux premières loges des pressions exercées par l'Union européenne. Sont-ils bien outillés pour gérer les flux migratoires qui traversent leur territoire ou venant de leur territoire en partance pour d'autres cieux? Quelle est la situation des lois régissant la demande d'Asile, l'accès au travail, l'accès à la santé et aux droits socioéconomiques des populations migrantes vivants sur ces territoires? «Les associations des migrants en Tunisie s'interrogent, se mobilisent et veulent faire entendre leur voix sur la question», note un intervenant. Blamassi termine avec une note d'otimisme en espérant une année 2020 marquée du sceau de l'action afin de faire évoluer les mentalités avec des résultats concrets. Il demande au gouvernement tunisien et à Kaies Saied, président de la République tunisienne, de réviser la loi qui date de 1968 car «la Tunisie de 2020 n'est pas celle de 1968 et fort heureusement». Il demande une grâce présidentielle qui permettrait à tous les migrants clandestins de régulariser leur situation. «Cela pourrait permettre de régler beaucoup de problèmes rencontrés par ces populations», fait remarquer notre interlocuteur avec un zest d'espoir. Vivement que la Tunisie, Terre d'Ifriqiya et terre d'accueil pour tous, devienne plus que jamais une réalité.