Blocus, bombardements, enquête judiciaire... Le pays replonge dans son conflit avec les Kurdes, moins de deux mois avant les élections législatives anticipées. C'est la crise dans la crise ; une guerre de plus, la guerre de trop au cœur d'une région déjà ravagée par tant de conflits. Depuis près de deux mois, la Turquie est repartie à l'offensive contre le PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan, ravivant un conflit que l'on pouvait croire en bonne voie de règlement après avoir fait quelque 40.000 morts. Les pages des réseaux sociaux turcs voient défiler les photos de dizaines de victimes des deux camps, de jeunes hommes pour la plupart, pleurés par des familles qui renouent avec les funérailles sans fin des années 1990. Ces derniers jours, la ville de Cizre (120.000 habitants), à la frontière syrienne, a même vécu un blocus généralisé par l'armée turque, avec bombardements et tirs de snipers. Des scènes qui évoquent Kobane, la ville kurde syrienne martyre qui était assiégée par les djihadistes de Daech. Sauf que nous sommes en Turquie, un pays de l'Alliance atlantique, candidat (l'est-il encore ?) à l'entrée dans l'Union européenne. Pourquoi ce réveil brutal d'un conflit certes non résolu, mais dans lequel les armes s'étaient tues ? (...) Erdogan a-t-il, comme le lui reprochent ses détracteurs, déclenché une guerre dans le seul but de gagner des élections ? C'est sans doute une partie de l'explication, mais elle est un peu courte. (...) Erdogan a longtemps semblé laisser monter Daech dans le seul but de contrecarrer l'émergence kurde. Aujourd'hui, il bombarde ces djihadistes-là, et soutient activement ceux du Front Al- Nosra, le groupe issu d'Al-Qaida devenu l'une des principales forces de la rébellion syrienne. Erdogan se voulait, il y a peu, le nouveau «sultan» de la Turquie moderne, surfant sur une économie en croissance et une influence régionale grandissante. Ce rêve s'est effondré : le président semble sans boussole, ajoutant de la guerre à la guerre dans une fuite en avant insensée, dont les Turcs eux-mêmes sont les premières victimes. Pierre Haski (L'Obs) Fierté et malaise derrière la nouvelle grande mosquée de Moscou En présence de Vladimir Poutine, le chef du Kremlin, les musulmans de Moscou inaugurent aujourd'hui leur nouvelle grande mosquée. Pour les musulmans de Moscou, c'est jour de fête. « Nous attendions cette inauguration depuis longtemps... Enfin une grande mosquée à la taille de notre communauté ! » Sur Olimpiskii prospekt, l'une des grandes artères partant du centre de la capitale, Ali, un dynamique homme d'affaires, est tout sourire. Avec ses amis, il se fait photographier devant l'énorme dôme doré de l'imposante nouvelle mosquée toute de granit blanc et de marbre : près de 19 000 m2 sur six étages, pouvant accueillir 10 000 fidèles. (...) Entouré de plusieurs chefs d'Etat musulmans venus pour l'occasion et de Suleiman Kerimov, l'oligarque russe et musulman qui a financé l'essentiel des 150 millions de dollars du chantier, le chef du Kremlin Vladimir Poutine doit assister à l'inauguration officielle. (...) À quelques mètres de là, les Moscovites locaux sont pourtant nettement moins enthousiastes. Autour de la petite église orthodoxe du quartier, les réactions fusent, vives et souvent crues, contre la nouvelle mosquée. « Pourquoi construire cette grande mosquée en plein Moscou ? Osons-nous construire une cathédrale orthodoxe à La Mecque ? », ironise un passant. (...) Comme le Conseil des muftis russes, l'Eglise orthodoxe et le Kremlin redoutent toute poussée d'extrémisme. Car l'islam radical n'épargne pas la Russie : entre 2 000 et 7 000 jeunes auraient rejoint les troupes des djihadistes en Syrie. Benjamin QUENELLE (La Croix) Un rapport préconise de donner la parole aux djihadistes déserteurs Pour lutter contre le terrorisme, il faut permettre aux djihadistes déçus de s'exprimer. C'est ce que préconise un rapport publié le 18 septembre par le groupe de réflexion britannique The International Centre for the Study of Radicalisation and Political Violence (ICSR), spécialisé dans l'étude de la violence politique et de la radicalisation. L'intérêt de cette approche serait de dissuader les prétendants au départ et inciter les actuels combattants à quitter les rangs de l'organisation de l'Etat islamique (EI). Comment ? Par la diffusion des récits des militants désenchantés par leur séjour en Syrie ou en Irak. « Personne n'a plus de crédibilité pour défier le récit de l'EI et pour donner une impression réaliste du groupe et de la société totalitaire qu'il cherche à créer que les personnes qui l'ont expérimentée », explique l'étude. Dans l'enquête menée par l'ICSR, 58 témoignages sont cités : 21 viennent de Syrie, 9 d'Europe de l'ouest et d'Australie, 7 d'Asie... Ils révèlent tous « les contradictions » au sein de l'organisation djihadiste, qui tranchent avec l'image « d'unité » que cherche à diffuser l'EI. (...) Par exemple, les dissensions internes à la communauté sunnite dérangent ces réfractaires. (...) C'est dans ce cas précis que la brutalité de l'EI leur saute aux yeux et les choque : les témoins rapportent des tueries d'innocents, de femmes et d'enfants, mais aussi de combattants par leurs propres chefs. Un constat qui pousse Peter Neumann, l'auteur du rapport, à conclure dans le quotidien britannique The Guardian : « Si vous voulez empêcher les personnes de rejoindre l'Etat islamique, inutile de montrer des photos de minorités ethniques ou religieuses en train d'être persécutées. » En effet, ces minorités ne sont jamais évoquées par les 58 témoins, alors que dans le monde occidental, leur survie est un enjeu majeur de la mobilisation anti-EI. La solution ? « Peut-être devriez-vous commencer par parler du fait que l'Etat islamique est en réalité mauvais envers les sunnites », suggère M. Neumann. L'enquête qu'il a menée révèle d'autres tensions au sein de l'organisation. Les ex-djihadistes se plaignent « d'injustice », « d'égoïsme » et de « corruption ». (...) Enfin, les combattants de retour au pays souffrent de n'avoir trouvé ni « l'action », ni « l'héroïsme » qu'ils cherchaient. Quant aux étrangers, ils se sentent « exploités comme de la chair à canon », notamment pour perpétrer des attentats-suicides. Autant de mots, d'images, de faits et de ressentis qui jettent un jour cru sur les failles de l'EI. (...) Clara Wright (Le Monde) Renfort Une victoire de la gauche réformiste. Comment qualifier autrement le succès remarquable d'Aléxis Tsípras, qui remporte haut la main sa troisième épreuve électorale de l'année en dépit des volte-face de l'été ? Ainsi, le rejet de l'Europe qu'on voit se manifester dans plusieurs pays, et même en France où il progresse, n'a rien d'une fatalité. En Grèce, le peuple a choisi l'Europe, serait-elle porteuse d'efforts douloureux, comme en témoigne la déroute subie par les dissidents de Syriza, qui représentent la version grecque du souverainisme de gauche. Plutôt que l'inconnu de la rupture avec l'euro, les Grecs demandent à Tsípras le réaliste de conserver leur pays dans l'Union, tout en s'efforçant d'atténuer l'austérité acceptée à Bruxelles. François Hollande, l'un des premiers à saluer la victoire de Tsípras, qu'il avait en partie cornaqué pendant la crise de juillet, ne s'y est pas trompé. Voyez, dit-il subrepticement, on peut mener une politique de compromis avec l'Europe, rigoureuse, douloureuse même, et se faire réélire. L'allusion est de bonne guerre. Mais il n'est pas le seul. Sur sa gauche, Pierre Laurent, secrétaire du PCF, salue lui aussi le parcours de Tsípras après avoir participé à son dernier meeting de campagne. Pierre Laurent aussi fait le choix de l'Europe, tout en réclamant la fin de l'austérité. Oxymore? Oui et non. Contrairement à ce qu'on a dit ou écrit, le gouvernement grec a obtenu des contreparties à son acceptation des exigences de Bruxelles : des crédits importants pour tout de suite, un allégement de la dette pour plus tard. Et, surtout, le combat pour une autre politique européenne continue, une politique moins liée à la finance et plus proche des intérêts populaires. Dans ce combat difficile, le choix des Grecs est un précieux renfort pour la gauche européenne. Laurent Joffrin (Libération)