Adieu l'Emile, je t'aimais bien… chantait Jacques Brel. Ces paroles, Bady aurait aimé les écouter encore. Trop tard ! L'ami a quitté la terre et ses chansons, Bady, parti aux fleurs la paix dans l'âme, il quitte la terre et ses bruits de sous-terre, le journalisme et ses servitudes, la critique et son joug, l'art et sa musique, les hommes et leur tumulte. Il quitte la vie à laquelle il a tant donné, deux enfants qu'il a aimés, ses amis, qu'il a chéris et ses chers écrits qu'il a gardés ou oubliés. Son regard de tendresse ne nous quitte pas. De quel côté aborder l'homme qui aimait et qu'on aima ? L'artiste qui était un solitaire retrouvant les visages qu'il peignait, les coquillages qu'il ramassait, le Boukornine qu'à longueur d'heures il fixait et les poèmes romantiques, parnassiens ou modernes qu'il déclamait de mémoire, vagabonde mémoire. Le journaliste écrivait abondamment. Critique d'art, il considérait le métier comme une électricité artistique, décrivant les œuvres comme un écrivain. Journaliste de l'école ancienne, il le fut, toute sa vie, soucieux des mots. Il avait le culte de la phrase bien faite, du son doux, de la musique moelleuse. Il avait son style unique, reconnaissable parmi les dizaines d'articles. Il alignait son écriture gracieuse toujours à la main, avec une calligraphie claire, à l'encre noire. Son style journalistique crevait la page. Il est à lui seul un poème, une voix supérieure de l'expression, puisqu'il écrivait, vivait, s'habillait comme il chantait : en phrases justes et harmonieuses. Il laisse derrière lui des centaines d'articles éclairés, des ouvrages brillants (Sehili, Aly Ben Salem…), des catalogues éclairants. Bref, il était la référence, la mémoire éveillée et remuante de l'art moderne. L'anarchiste qui trouvait du charme à Sacco et Vanzetti, dont il reprenait entièrement la chanson (Joan Baez ou Moustaki), a foncé la tête devant en 2011 pour « l'avenir des jeunes » me disait-il, il a abandonné ses enthousiasmes très tôt. Laïc sans concession, il rejetait les bigots, les bondieusards, les tartuffes, les faux culs et les dogmes. Et portait une admiration effrénée à Léo Ferré dont il interprétait, guitare en bandoulière, superbement les chansons. Quelques semaines plus tôt, le journaliste, ancien directeur de La Presse Slah Mâaoui, rejoignit Gmati, Mahfoudh, etc. Aujourd'hui Bady rejoint le cortège à notre grand regret, une absence douloureuse. Ses nombreux amis des deux côtés de la Méditerranée sont désormais orphelins, ils n'écouteront plus Bady chanter Ferré ou Brassens. Et inévitablement Brel. Adieu Bady, je t'aimais bien. Hamma HANACHI