Par Bady BEN NACEUR Qui se souvient encore de Léo Ferré en Tunisie, les années soixante-dix et quatre-vingt ? Amour-Anarchie, La vie d'artiste, Avec le temps, La mémoire et la mer (55 strophes, de 8 octosyllabes chacune, soit 440 vers), La solitude, La chanson du Mal Aimé (hommage à Appolinaire), Les Fleurs du mal (du grand Charles), C'est extra, Est-ce ainsi que les hommes vivent... et j'en passe et des meilleurs ? Au festival de Tabarka, durant l'université d'été, quand on n'y bronzait pas idiot ? Au théâtre romain de Carthage où il aimait bien prendre son bain de foule avec son Y en a marre des «flics du détersif» qui ceinturaient la scène (de peur des débordements) et auxquels Léo avait intimé l'ordre de quitter les lieux, sous peine d'annuler le concert ? Et cette jeunesse qui fut la nôtre, mettant le feu aux poudres ? Je reçois, cette semaine — avec quel retard ! — le 11e volume des Cahiers d'études, qui lui sont consacrés à ce jour*. Un numéro dédié à la famille Ferré et des thèmes récurrents autour de l'œuvre magistrale, de cet artiste saltimbanque médierranéen, anarchiste de cœur et d'esprit : La Mémoire et la Mer. Ce énième numéro est donc paru à l'occasion du 20e anniversaire du décès de l'artiste, un certain 14 juillet — eh oui!...— 1993. Et c'est, bien évidemment, au théâtre Toursky à Marseille, chez son compagnon de route Richard Martin que l'on a fêté ce grand poète-chanteur-compositeur-musicien, de talent. Le 14 juillet dernier beaucoup d'artistes et de saltimbanques, de la Méditerranée lui ont ainsi consacré la Grande Nuit Léo Ferré suivie d'un bal populaire, digne de la fratrie libertaire. On citera pêle-mêle, Pierre Arditi, Michel Bouquet, Micheal Lonsdale, Richard Martin (son alter ego), mais aussi Sapho, Rufus, Marie-Claude Pietragalla, Sonia M'barek, la cantatrice tunisienne, Touria Hadnaoui et bien d'autres artistes, poètes, acteurs remarquables. Sans la rencontre mémorable de Mai 68, Léo Ferré et Richard Martin, à l'époque du maigre public du théâtre Massalia, l'aventure du théâtre Toursky qui tient encore le haut du pavé dans la ville des Phocéens, n'aurait été qu'une simple utopie. Mais cette «folie» a très bien marché «Une folie qui autorise les aventures du cœur et de la raison, qui conscent à créer et prendre les risques nécessaires pour l'amour et la fraternité entre les hommes». C'est ce qui s'est passé entre ces deux Méditerranéens sauvages comme, dans nos murs, les Fadhel et les Taoufik Jebali, les Gannoun et les Moncef Saïem, et tous nos saltimbanques de talent et de courage qui ont fait — et font encore — de la résistance contre la dictature et l'indignité. Et cette «Mémoire et la Mer» qui fait le titre de ces Cahiers d'étude, à travers un sommaire d'une richesse inouïe, consacré à l'étude de l'œuvre magistrale du poète et l'artiste, est bien la preuve que les utopies sont réalisables. Cela, contrairement à l'idée faussement répandue des politiques hargneux et du capitalisme sauvage. «Léo Ferré a travaillé pensé et repensé La Mémoire et la Mer sur un espace-temps d'une quinzaine d'années» nous renseigne Luc Vidal, responsable des «cahiers d'études ferréens, et d'ajouter». «Selon les circonstances de sa vie, les paysages de la géographie de Bretagne, les humeurs du temps, les intermittences du cœur, les fluctuations des amitiés, les exigences de sa création. «Le poète a remodelé, remixé son poème, un des sommets de son œuvre». Des vers, comme ceux-ci, parmi les 440 dits par Richard Martin, son frère de cœur, des octosyllabes d'une beauté surprenante et rare, dans la chanson française : C'est fini la mer c'est fini sur la plage le sable bêle comme des moutons d'infini Quand la mer bergère m'appelle Il faut réécouter cette chanson comme toutes les autres pour mieux saisir l'âme ferréenne. * Cahiers d'études Léo Ferré, supplément de la revue Séghers publié par les éditions du Petit Véhicule