Par M'hamed JAIBI Malgré les alliances déclarées et les apparences acquises, l'échiquier politique tunisien vit une profonde remise en cause généralisée dont les signes ne se dégagent qu'occasionnellement et très partiellement à travers les débats et prises de position diverses, que ce soit à l'Assemblée, dans les instances des divers partis ou dans les médias. Le caractère réversible des options et alliances La récente initiative en vue d'une motion de censure à l'encontre du ministre de l'Enseignement supérieur en est l'une des illustrations implicites, malgré les motivations évoquées et le caractère anodin des reproches adressés au ministre concerné. Ces regroupements de personnes ou de signatures autour d'un objectif partiel ou d'un mot d'ordre spécifique affectent tous les partis, révélant le caractère réversible des options et des alliances, à un moment crucial où l'«unité» nationale s'érige en symbolique majeure dans la lutte contre le terrorisme et la remise en route du développement. Deux projets de société présentés comme antagoniques Le fait est que le dépassement des luttes idéologiques ayant suivi le changement révolutionnaire et les nouvelles motivations ayant inspiré les recompositions politiques au lendemain des élections législatives et présidentielle sont de nature à encourager l'approfondissement de la réflexion sur l'avenir du pays et le choix de positionnement dans cette perspective. L'alliance de fait entre Nida Tounès et Ennahdha, en tant que deux blocs porteurs de projets de société présentés comme antagoniques, et son élargissement à deux autres jeunes partis plutôt libéraux, sont en effet de nature à inviter, sinon à la remise en question, du moins au réajustement politique et idéologique. A la recherche de son identité Se posent, effectivement, ici des questionnements multiples sur les démarcations droite-gauche, sur les nuances du libéralisme économique, sur les mille formules de l'«économie sociale de marché», sur les implications de l'économique et du social, sur les perspectives de l'«islam politique» et ses possibles modèles...pour déboucher sur un véritable puzzle politique, socioéconomique et idéologique pouvant déstabiliser toutes les certitudes. Et qui conduit chacun des acteurs de la nouvelle classe politique encore en constitution à rechercher son identité et son devenir. Au moment même où divers états-majors aspirent légitimement à matérialiser les nouvelles lignes de force d'un échiquier politique encore fragile et malléable. A Nida comme à Ennahdha Ces questionnements se font jour dans tous les partis dont Nida Tounès et Ennahdha. Mais les rangs du mouvement islamiste restent cimentés par une attache forgée par les luttes sur de longues années. L'illustration la plus spectaculaire de ces remises en question est la polémique engagée sur les références historiques se rapportant au mouvement national, avec l'émergence d'un attachement spécifique au fondateur du Parti libéral constitutionnel (Destour), le Cheikh zeïtounien Abdelaziz Thaâlbi, au détriment du leader Habib Bourguiba, chef de la libération nationale, qui avait fondé, en 1934, le Néo-Destour et avait accédé au rang de chef incontesté de l'ensemble du mouvement national. Une approche mise en avant par certains nidaistes puis publiquement appuyée par des leaders du mouvement Ennahdha. Tous les partis sont concernés Les questionnements qui se posent sont aussi divers que multiples et ils se posent dans absolument tous les partis. A commencer par les anciens partis de la Troïka : à Ennahdha où l'on se demande comment les anciens «jeunes campeurs sportifs» rappelant à certains leur jeunesse sont devenus de dangereux bandits à abattre, au CPR où l'on est passé de l'appui aux prédicateurs les plus follement fanatiques à la défense de l'intégrité physique d'un homosexuel, à Ettakatol où l'on va chercher la social-démocratie chez des courants idéologiques radicaux... Jusqu'au Nida où certains se demandent encore pourquoi les adversaires d'hier sont les alliés les plus sûrs d'aujourd'hui. Au point que d'aucuns prétendent que certains cultivent l'idée d'un projet partisan recomposé.