Le Dialogue national en Tunisie représente une étape décisive de l'histoire actuelle de notre pays. Il vient d'être scientifiquement analysé et séquencé dans un ouvrage éponyme, fraîchement publié par l'Association tunisienne d'études politiques*. Etape que le livre publié reprend avec le souci de la précision académique. Samedi dernier, le travail, réalisé grâce au concours de l'Université Georgetown de Washington, est présenté aux universitaires et hommes politiques. Mustapha Ben Jaâfar, président de la Constituante, était présent. D'autres figures connues, comme le député Samir Ettaieb, ont rejoint la réunion organisée dans un hôtel du centre-ville, pour apporter leurs témoignage à partir d'un vécu. Ce travail, selon Hatem M'rad, président de l'Atep et chef du projet, est le produit final d'une enquête de terrain lancée en novembre 2014 et achevée en juillet 2015 « qui nous a permis de recueillir des informations de première main ». Des entretiens sont réalisés avec des hommes et femmes politiques engagés dans le dialogue en tant que médiateurs ou acteurs, 26 en tout ; et un sondage ayant ciblé un échantillon de 34 personnes représentatives de l'opinion publique plutôt avertie, s'agissant de militants associatifs opérant dans quatre gouvernorats : Tunis, Bizerte, Sfax et Douz. Fadhel Moussa, l'un des trois doyens présents avec Lotfi Chedly et Habib Kazdaghli, a procédé à la présentation et de la recherche et du dialogue à travers la grille expérimentale, en sa qualité de député du parti Al Massar et président de commission relevant de la Constituante. On s'intéresse à l'expérience tunisienne Le dialogue né au forceps suite à des négociations ardues et parfois nocturnes s'est imposé dans une période instable, comme étant la seule issue pacifique pour un pays en transition qui cherche ses repères et modalités de gouvernance. Processus qui s'est soldé par un franc succès ; un gouvernement élu a accepté de partir et un cabinet provisoire a été investi. Ailleurs dans le monde, dans les milieux politiques, nous l'avons vu, mais également académiques, on s'intéresse à cette expérience locale. C'est suite à la proposition de Daniel Brumberg, professeur de sciences politiques à l'université Georgetown, présent au rendez-vous, et avec le soutien de l'Institut américain de la paix (USIP), que cette œuvre académique a pu voir le jour. Invité à la tribune, M. Ben Jaâfar estime que « malgré les critiques virulentes dont le dialogue a fait l'objet , il faut reconnaître que c'est une expérience inédite qui a réuni autour de la table de négociations ceux qui indifféremment représentaient des milliers de voix ou un parti parfaitement inconnu dont le bureau politique ne s'est jamais réuni jusqu'à aujourd'hui d'ailleurs », a-t-il fait remarquer non sans ironie. L'héritage Au cours de la rencontre, l'équipe de pilotage constituée de politologues, juristes et de doctorants ont relaté les détails marquants de l'enquête et certaines de leurs perceptions personnelles. Maryam Ben Salem a précisé, que tout en étant producteur de légitimité, le débat national n'a jamais été totalement agréé. Certaines personnes sondées y voyaient une perte de temps et « une opération de l'élite faite pour l'élite, alors qu'un dialogue socioéconomique aurait été plus utile ». Khaled Mejri considère que c'est une démarche importante que cet ouvrage a eu le mérite d'historiciser. Le professeur Brumberg, pour avoir suivi d'autres expériences dans des pays comme le Soudan, a mis en avant cette donnée fondamentale, que même si les dialogues nationaux partent tous des mêmes postulats de discussions et compromis, chaque pays développera ses propres spécificités qui se répercutent sur le processus et son aboutissement. Il serait utile de remarquer, in fine, que si grâce au débat national made in Tunisia, des solutions consensuelles ont pu être dégagées, il n'en reste pas moins qu'il a laissé derrière lui un héritage lourd à porter. L'option interactive, imposée de fait par la révolution, est entrée de plain-pied dans les mœurs sociopolitiques. Résultat, la moindre décision prise par l'exécutif, ou la direction d'une administration, des employés syndiqués ou pas s'attribuent le droit de la rejeter systématiquement, sous prétexte qu'ils n'ont pas été consultés. On conteste tout et n'importe quoi, même une procédure de nomination dans un département public. La contestation s'est transformée en boîte à outils, qui pour se garantir une tribune médiatique, qui pour se positionner, ou tout simplement pour ne pas travailler. A tel point que tous les secteurs d'activités, y compris ceux les plus stratégiques comme le phosphate ou l'Education, et parfois régaliens comme la Justice et la Sécurité sont durement touchés. Il s'ensuit alors l'inqualifiable désordre auquel nous assistons aujourd'hui. *Le Dialogue national en Tunisie, Hatem M'rad avec la collaboration de Maryam Ben Salem, Khaled Mejri, Moez Charfeddine, Belhassen Ennouri, Monia Zgarni, avec le soutien de The United States Institute of Peace (USIP), Septembre 2015, ed Nirvana.