Six projets documentaires tunisiens, qui se racontent et racontent le pays à travers des histoires personnelles. C'est une première en Tunisie. Le programme de développement du documentaire africain Africadoc, un programme Docmonde, a organisé son premier atelier avec des réalisateurs tunisiens dans notre pays. Prévue en marge de la 5e édition des Douz Doc Days (12-17 octobre), annulée pour manque de financements, la résidence d'écriture a été recueillie par le centre culturel international de Hammamet, où elle s'est déroulée du 1er au 13 octobre. La dernière journée fut marquée par une rencontre de restitution à l'Institut français de Tunisie, où les six participants et leur formateur ont parlé des projets documentaires de chacun et du déroulement de l'atelier. A l'issue d'un appel à candidature, 6 parmi les 13 projets postulants ont été retenus. Leurs auteurs ont sculpté le corps de leurs futurs documentaires pendant deux semaines, encadrés par le réalisateur français Jean-Louis Gonnet. Mardi soir, à l'IFT, chacun d'eux a pris la parole pour expliquer le sujet et le traitement de son film. Une étape importante qui les prépare aux éventuelles séances de pitching afin de convaincre les producteurs, surtout celle qui aura lieu à Saint-Louis au Sénégal. Il s'agit du Louma, un rendez-vous professionnel du documentaire africain organisé fin novembre de chaque année par Africadoc. Trois des six projets tunisiens pourront y participer. Raconte-moi une histoire D'un synopsis et une note d'intention, les candidats sont arrivés à l'issue de la résidence avec un projet complet. «Nous avons travaillé sur la forme pour savoir comment préparer notre dossier, et sur le fond afin d'avoir un film qui raconte une histoire», nous explique Mahmoud Osman Turki, un participant dont le documentaire tourne autour du personnage de Mokhtar, un diplômé chômeur qui décide de revenir dans son village natal au nord de la Tunisie où il crée un projet de transport rural qui sort les habitants de l'isolement, diminue l'exode rural et l'abandon scolaire. «Devenu indispensable dans son village, Mokhtar est confronté au refus de sa fiancée qui habite à Sfax de le suivre. Ce sera le cœur de l'histoire de mon film», ajoute-t-il. Déterminé, Karim Belhaj a choisi un sujet délicat. Il compte en effet parler de la communauté juive en Tunisie et intituler son film «La question juive tunisienne ou la traversée du désert». «C'est une communauté vieillissante, dont le nombre ne cesse de diminuer avec l'histoire mal connue des tunisiens», affirme le réalisateur. Au bout de confrontations avec son entourage et après avoir filmé le quotidien de cette communauté, Karim Belhaj a pu tisser le portrait de son film pendant l'atelier. Tous les projets portent ainsi, à travers les histoires racontées, une implication personnelle des réalisateurs. Awatef Ridene va raconter le périple d'un immigrant clandestin africain qu'elle a rencontré durant une action du croissant-Rouge tunisien et qui lui enverra depuis soin pays natal un journal filmé. Sami Belhaj s'attaque à la mémoire de la torture en Tunisie depuis les années 50 et jusqu'à aujourd'hui, avec des témoignages sonores et des images des lieux des sévices. Aymen Yaacoub va filmer le combat d'une équipe de handicapés à Kebili, qui tente de participer aux jeux paralympiques malgré les difficultés. Et Youssef Ben Ammar va filmer trois familles tunisiennes de différentes régions et catégories sociales, dont les enfants sont partis au djihad en Syrie. Préserver l'âme du projet Pendant les deux semaines de l'atelier, les journées des participants étaient bien chargées. «On travaillait toute la journée sur leurs projets. Le soir, on organisait des séances de ciné-club, avec des films documentaires que l'on débattait le lendemain matin», a déclaré Jean-Louis Gonnet mardi dernier à l'IFT. Interrogé sur cette première expérience d'Africadoc en Tunisie, le formateur nous répond qu'il a remarqué une grande culture cinématographique chez les participants, initiés à différents styles d'écriture documentaire. «Ce qui est à travailler plus, c'est comment arriver à développer les idées d'une manière documentaire et non comme un reportage, comment avoir un point de vue et c'est l'objet de l'atelier. Raconter son pays à travers un métier ou un personnage, partir de petites histoires qui deviennent universelles, c'est ainsi que la magie du cinéma opère et que le monde entier peut se reconnaître dans une histoire très locale», nous déclare-t-il. Afin d'illustrer cette idée, Jean-Louis Gonnet a projeté un documentaire fait en 2012 dans le cadre d'Africadoc. «Les pêcheurs de sable» d'Andrey S.Diarra suit pendant 72 minutes la vie des Bozos maliens, pêcheurs reconvertis à cause de la rareté du poisson au fleuve Niger. L'atelier et la rencontre de restitution se sont déroulés en présence de Hichem Ben Ammar, directeur des Douz Doc Days et relais d'Africadoc en Tunisie. Emu d'avoir pu maintenir l'atelier et désolé de ne pas avoir pu tenir le festival cette année, il nous parle avec fierté de la dynamique de groupe qui s'est créée parmi les participants et de l'importance d'un tel programme, qui suit les projets dans leur recherche de producteurs. «Je suis content qu'ils bénéficient de ce dont notre génération a manqué et qu'ils aient trouvé cette chance d'un partenariat international sans sacrifier l'essentiel, l'âme de leurs projets». La production de films est l'un des volets les plus décisifs afin qu'ils voient le jour. Il résume la vision d'Africadoc où le processus compte tout autant que le résultat. Les trois projets sélectionnés et qui iront au Sénégal y feront la rencontre de producteurs potentiels. Ils adapteront une formule de partenariat entre un producteur européen et un producteur local. Une fois achevés, les films seront diffusés sur internet à travers la plateforme web du programme et leurs auteurs peuvent participer avec à des festivals de cinéma de par le monde. Les autres sont déjà sur le chemin avec les dossiers finalisés pendant la résidence. Que les films commencent!