La Tunisie se prépare à une nouvelle bataille économique, celle du tourisme de demain. Seniors, santé, maisons d'hôtes, haut de gamme ou encore location via plateformes : ces filières encore sous-exploitées pourraient rapporter jusqu'à 13 milliards de dinars d'ici 2030. Mais il faudra lever les freins réglementaires et bousculer les habitudes pour transformer le potentiel en réalité.
Jeudi 18 septembre, le siège de l'Institut arabe des chefs d'entreprise (IACE) vibrait d'un mélange d'enthousiasme et d'impatience. Pour la 9ᵉ édition du Tunisia Economic Forum, son président Amine Ben Ayed a planté le décor : « Le tourisme n'est pas seulement une source de revenus, c'est un pilier de souveraineté économique ». Avec près de 14 % du PIB et des milliers d'emplois directs et indirects, le secteur irrigue l'agriculture, l'artisanat, le transport et le bâtiment. Mais le modèle balnéaire, qui a longtemps fait la réputation du pays, montre ses limites. « L'offre traditionnelle ne suffit plus », a martelé M. Ben Ayed, appelant à une véritable révolution touristique pour renforcer l'indépendance financière de la Tunisie.
Une étude qui met des chiffres sur le futur Pour donner corps à cette ambition, l'économiste Safouane Ben Aïssa a réalisé une étude prospective inédite. Son rapport ne se contente pas de dresser un diagnostic, il chiffre le potentiel des nouvelles niches et en mesure l'impact économique. Les résultats sont parlants : en 2025, les recettes touristiques devraient frôler les huit milliards de dinars, déjà en hausse de près de 8 % par rapport à 2024. Mais ce n'est qu'un début. En scénario central, les recettes pourraient atteindre 12,7 milliards en 2030. Le scénario ambitieux grimpe même à 13,1 milliards, soit plus de quatre milliards supplémentaires par rapport à aujourd'hui, avec entre 23.000 et 33.000 emplois créés et des retombées fiscales dépassant 600 millions de dinars.
Seniors, santé et maisons d'hôtes en tête Parmi les segments les plus porteurs, le tourisme senior se détache. Il cible une clientèle européenne retraitée, friande de longs séjours d'hiver et de printemps, avec un panier moyen stable incluant hébergement, soins légers et activités culturelles. Le tourisme de santé et de bien-être, déjà reconnu pour ses soins esthétiques et dentaires, pourrait voir ses recettes passer de 620 millions de dinars en 2025 à plus d'1,3 milliard en 2030. Les maisons d'hôtes et le tourisme rural, eux, répondent à la quête d'authenticité et d'écotourisme, tout en favorisant un rééquilibrage régional au profit des zones intérieures. Quant au haut de gamme, encore embryonnaire, il reste incontournable pour attirer une clientèle à fort pouvoir d'achat et diversifier le mix touristique. Enfin, la location via plateformes (Airbnb, Abritel, etc.) poursuit une croissance rapide, notamment dans les grandes villes et sur le littoral.
Des freins à lever pour libérer le potentiel Ce tableau prometteur cache toutefois des obstacles bien identifiés. L'IACE pointe un cadre réglementaire trop rigide, une coordination institutionnelle insuffisante et un décalage persistant entre l'offre nationale et les attentes des marchés internationaux. La feuille de route proposée par l'Institut préconise d'assouplir les règles, de faciliter l'investissement privé, de soutenir l'innovation et d'encourager les initiatives locales. Autant de mesures nécessaires pour libérer l'énergie des entrepreneurs et accompagner la montée en gamme du secteur.
Une question de souveraineté économique Au-delà des chiffres, le message de l'IACE est clair : diversifier le tourisme tunisien n'est pas un simple choix marketing, c'est un impératif stratégique. Dans un contexte de finances publiques fragiles, ces nouvelles filières représentent une source stable de devises et un levier de développement régional. Si la Tunisie réussit à transformer l'essai, le tourisme ne sera plus seulement un moteur économique. Il deviendra un symbole d'ouverture, d'innovation et de souveraineté, capable de projeter le pays bien au-delà des clichés de cartes postales.
Maya Bouallégui
Cliquer ici pour lire les détails de l'étude de Safouane Ben Aïssa