Par Hédi Ben Abbes* Pour attirer l'attention de la communauté internationale et susciter la sympathie de l'opinion publique, des pays dépensent des sommes colossales dans des études et des stratégies de communication. Pour la Tunisie, nous avons bénéficié depuis 2011 de plusieurs opportunités et de plusieurs vagues de sympathie à travers le monde. Les projecteurs se sont allumés plusieurs fois sur la Tunisie sans qu'on en profite pour autant. La dernière opportunité en date est celle du prestigieux prix Nobel de la paix, le Saint Graal, le coup de projecteur dont rêvent plusieurs pays. Le comité Nobel nous a confectionné une carte visite qui ouvre toutes les portes et nous donne une énième possibilité de capitaliser cette nouvelle et certainement dernière vague de sympathie. Qu'allons-nous en faire ? Quelle stratégie doit-on adopter pour tirer profit de cette reconnaissance internationale ? Allons-nous nous contenter de l'euphorie du moment et nous confondre en autosatisfaction? Ou sommes-nous capables d'interpréter cette reconnaissance comme une dernière bouée de sauvetage afin d'éviter le naufrage de notre économie et de notre système démocratique naissant ? Les fenêtres d'opportunités n'ont de constant que leur caractère éphémère ! Si on ne les exploite pas en temps et en heure, elles ont tendance à se refermer définitivement. Aujourd'hui, la Tunisie bénéficie d'une opportunité sans précédent, une clé qui, si elle est utilisée judicieusement et à bon escient, peut déclencher une dynamique positive dont nous avons cruellement besoin. La Tunisie est aujourd'hui en panne, son économie est au plus bas, tous les indicateurs économiques sont au rouge. Les rapports des organismes internationaux (BM, FMI, Pnud, les agences de notation, etc.) sont unanimes pour dire que la situation est catastrophique. Le chaos guette la Tunisie si rien n'est fait dans les plus brefs délais. Face à cette situation d'urgence, comment peut-on utiliser cette nouvelle vague de sympathie ? Tout d'abord, ce prix est tout autant une récompense du passé qu'une invitation à construire l'avenir. Il faut interpréter ce prix Nobel comme une incitation à se prendre en charge. Comme une nouvelle possibilité donnée aux Tunisiens de prouver leur maturité et leur volonté d'aller de l'avant. Comme une nouvelle opportunité de construire notre pays sur des bases solides tant sur le plan institutionnel que sur le plan économique et social. Le danger réside dans le fait de mal interpréter cette reconnaissance et de verser dans l'autosatisfaction. Il s'agit, je le répète, de responsabilité, d'une dernière chance pour sauver notre pays, d'une ultime opportunité donnée aux Tunisiens de prendre leur destin en main. Le temps est court et l'exploitation de cette opportunité doit se faire de manière optimale dans un délai ne dépassant pas six mois. Comment ? Notamment par l'organisation d'une conférence internationale des donateurs. Depuis le 14 janvier 2011, le monde reconnaît à la Tunisie un statut d'exception en tant que démocratie naissante, un modèle à suivre qui allie dialogue et recherche de consensus. Cette reconnaissance doit également s'accompagner d'un engagement de la part de la communauté internationale. A l'image des conférences déjà organisées au profit de l'Egypte, de l'Afghanistan ou encore le Mali, la Tunisie peut légitimement faire appel à la solidarité internationale. Il est dans l'intérêt de tous les pays épris de valeurs démocratiques et de volonté de créer les conditions de la paix, de prolonger les bonnes paroles par des actes. Investir dans la démocratie — Invest in democracy — en est un. Par l'organisation d'une conférence internationale des donateurs, les amis de la Tunisie auront l'occasion de faire avancer les valeurs démocratiques, principal rempart contre les extrémismes. La Tunisie ne demande pas l'aumône. La Tunisie cherche à créer les conditions d'une relation gagnant-gagnant avec l'ensemble de la communauté internationale. Mais une conférence des donateurs est aussi l'expression d'une responsabilité qui incombe aux Tunisiens eux-mêmes. L'argument souvent utilisé par les personnalités étrangères qui visitent notre pays consiste à dire :« Nous sommes prêts à vous aider mais c'est à vous de nous dire comment, dans quel cadre, pour quel modèle de développement, quel projet pour la Tunisie ». Les précédents gouvernements étaient provisoires et le pays était en chantier politique (rédaction d'une constitution, préparation des élections, etc.). Le climat social était en ébullition. Les gouvernements successifs manquaient d'expérience et n'avaient comme préoccupation que la gestion des affaires courantes et les échéances électorales. Faute de mandat clair et durable, la légitimité de ces gouvernements était limitée. Aujourd'hui, la donne a complètement changé et on ne peut plus avancer l'argument du temporaire pour justifier notre inaction. Une majorité confortable avec une coalition très large dans un parlement élu, un mandat de cinq ans et une stabilité politique propice aux réformes et au courage politique. En règle générale, une conférence des donateurs doit venir en soutien à un programme économique, social et sécuritaire préalablement établi. En effet, des projets concrets doivent être conçus et proposés aux donateurs dans le cadre d'une vision complète, cohérente et transparente. On doit apporter au monde entier la preuve de notre capacité à assumer nos responsabilités et à conduire les affaires de notre pays dans le cadre d'une action qui conjugue développement socio-économique et démocratie, autrement dit l'Etat de droit, l'unique cadre propice à l'investissement. Mais avant d'appeler à cette conférence des donateurs, nous devons d'abord assumer notre part de responsabilité. Mettre également à contribution aussi bien le pouvoir exécutif et législatif que la société civile dans son ensemble. L'instrumentalisation de ce prix à des fins corporatistes serait un véritable gâchis pour notre pays et un désaveu pour les lauréats eux-mêmes. En résumé, une sorte de « plan Marshall» pour sauver la démocratie par le développement économique et social, comme moyen d'assécher les sources de l'insécurité, est impératif. C'est aux partis au pouvoir, au gouvernement, à la société civile et à tous les Tunisiens qu'incombe cette responsabilité. Il nous faut créer les conditions nécessaires pour tirer bénéfice de la sympathie internationale matérialisée dans ce prix Nobel de la paix. Au vu de l'importance d'un tel projet, seule l'implication pleine et entière du président de la République lui donnera une chance de réussir. Il ne peut y avoir de paix durable sans développement économique et social. Aujourd'hui, le monde entier nous regarde et nous demande d'assumer nos responsabilités si on veut être respectés et dignes d'être qualifiés de « modèle » à suivre. *(Universitaire et dirigeant d'entreprise)