Par Jawhar CHATTY Nous avons, paraît-il, écrit l'une des meilleures constitutions au monde. Mais nous sommes encore incapables de trancher dès qu'il s'agit de se prononcer sur la constitutionnalité d'un projet de loi. Non point parce que nous manquons de juristes mais parce que nous avons toujours tendance à considérer que «nos juristes» sont forcément partisans. Cette suspicion nous colle à la peau. Celle-là même qui d'ailleurs a presque institutionnalisé la pratique du recours systématique à un arbitre étranger pour les grands matches opposant deux équipes de la Ligue nationale de football. C'est, disons-le au passage, symptomatique d'une société en perte de repères qui n'a pas confiance en elle-même. L'incapacité, le grand temps, tout au moins, que nous prenons à nous prononcer sur la constitutionnalité d'un texte de loi vient peut-être aussi du texte même de notre Constitution qui, par l'ambiguïté de certains de ses articles, ouvre la voie aux interprétations et laisse à la société civile — un garde-fou majeur — de larges interstices et marges d'action de veille. A une société civile qui, on pourrait le penser, ne peut pas toujours être et en bloc rester à l'abri des tentatives de récupération politique et partisane. Pour les constitutionnalistes tunisiens, la conformité à la Constitution du projet de loi sur la réconciliation économique et financière est un cas d'école. Pourtant, ils en débattent toujours et les avis divergent. Par purisme et excès pointilleux de technicité sans doute. Certains partis politiques ricanent, d'autres voient dans cette divergence d'interprétation une opportunité pour mieux se positionner. La société civile tunisienne, elle, y trouve un champ fertile. Et puis, tomba, tel un couperet, le «verdict» de la Commission de Venise. Chacun, là aussi, y était allé de son interprétation. L'IVD, qui a fait appel au service des experts de la Commission de Venise, n'a retenu de l'appréciation de ces derniers que ce qui l'arrangeait, idem pour la présidence de la République initiatrice du projet de loi sur la réconciliation économique. Nous voilà donc revenus à la case départ. Avec cependant, pour chacune des deux parties en conflit, cette inepte satisfaction que «l'arbitre étranger au-dessus de tout soupçon» lui a, même subtilement et non sans nuance, donné raison. C'est se demander à quoi pourrait servir notre future Cour constitutionnelle si le travail qu'elle aura demain à faire, des experts étrangers peuvent tout aussi bien le faire et dès aujourd'hui ?! Les experts de la Commission de Venise ont d'ailleurs aussi été sollicités pour avis sur la question de la constitutionnalité du projet de loi relatif à notre future Cour constitutionnelle. Complexe du colonisé dites-vous ? Pas seulement. Il nous reste cependant cette grande ingéniosité qui nous a valu le Nobel de la paix : arriver toujours à trouver une issue aux situations de blocage grâce au dialogue et à la recherche de consensus.